In Terra Incognita
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Grumpy

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MessageSujet: Nouveau départ   Nouveau départ EmptyJeu 11 Nov - 23:48

Respire Respire..

Ses jambes avaient cédé sous son corps, elle était à présent étendue face contre terre.. Un son cristallin s’était fait entendre. Ses paupières se relevèrent avec peine et son regard se posa sur les bouts de verre égrenés sur le sol, ses billes s’étaient éparpillées, fuyant la mort..


Que la neige tombe, qu’elle recouvre toutes ces terres et les ignominies qu’elles ont supportées. Et quand viendra le dégel et la brise printanière elle se réveillera de nouveau..

Nœuds et boules compriment son frêle corps, elle peine à expirer et halète.
Boire, il fallait boire.. Abreuver son corps qui n’aspirait qu’à cette requête. Apprécier enfin la vie.

« Eda ! »

Un globe vient à s’immobiliser et la fixe de son regard mort, membre décharné qui se prétend à la fois victime et magistrat. Si ses sœurs, les lèvres, ne lui avaient pas été enlevé, il était fort à parier qu’elles auraient crié le terme « Pourquoi » auquel le silence à lui seul aurait apporté la douloureuse réponse.

« EDA ! »

L’étendue blanche s’est tâchée de carmin, le vent dans les pins vient raser le sol et emporte le dernier souffle d’Eda. Seule, éperdument seule. Elle qui n’était pourtant rien et qui a emporté dans sa chute tout l’espoir et les rires dont disposaient encore la femelle aux cheveux fauves. Injuste dénouement à la naissance d’une furtive amitié. Le destin qui s’acharne et qui parsème le sablier de la jeune femme de lymphe.


« Eda.. »


La dernière fois que la disparue sera évoquée, son prénom lui aussi emporté à la suite de sa vie par le vent. Condamné à parcourir les terres de ce monde en tout sens, sans cesse rejoint par de nouveaux parents tout aussi prisonniers que lui d’Eole.

Le printemps viendra et avec lui l’homme aux cheveux blancs répondant au nom de Damis.
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Grumpy

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MessageSujet: Re: Nouveau départ   Nouveau départ EmptyDim 13 Fév - 18:32

Le ciel pleurait blanc. Ses joues à elle demeuraient sèches, râpeuses sous le toucher de ses doigts fripés par le froid. Les cils floconneux, ses lèvres conversaient avec le silence, ce silence lourd et pesant qui avait revêtu les traits d’une femme depuis plusieurs semaines déjà. De son visage neige s’exhalaient de minces fumerolles au goût rancœur. Son cœur en jachère n’aspirait qu’au dégel, mais le printemps tardait. Les jeunes pousses de la vie ne croissaient plus, la glace était venue les enrober de son fin revêtement étoilé les confinant à jamais dans ce funeste moment d‘éternité. La mort qui avait amené dans son sillage la vie. Son corps bouillonnait, ses muscles tendus, prêts à répondre à la moindre impulsion, saillaient. Douloureuse attente. Néant spirituel. Atrophie de l’esprit.

Le sol neigeux avait pris, dès que le jour pointait, l’habitude de lui tendre ses congères miséricordieuses, et s’étendant là où quelques heures plus tôt, quelques jours plus tôt, quelques semaines plus tôt elle s’était écroulée, le cœur au bord des larmes, elle épiait avec envie la promenade quotidienne de l’astre solaire. Lui qui là haut côtoyait les chuchotements des morts, elle l’enviait. Au plus près de la terre, elle humait avec délice les remugles suaves du corps putréfié. Elle la sentait encore là, tout près. La solitude pouvait passer son chemin, Eda était encore.

Sa seule présence dissuadant la plupart des charognards de faire place nette, le cadavre de ce qui avait été un jour son amie chère gisait à quelques pas. Et si le soleil pouvait se glorifier d’être le témoin privilégié des doux chuchotis de la défunte fille de joie, la femelle à la chevelure fauve se targuait quant à elle de serrer encore un moment les restes pourrissants de la main de son amie. Le froid avait fait son œuvre, la lymphe gelée avait cessé de s’épandre douloureusement du cadavre, cautérisant naturellement les blessures de l’humaine. Cependant le soleil jaloux de ce que lui refusait encore l’inconsolée dardait de son regard brûlant les charpies de chair dont les délicieux relents attiraient inévitablement les seconds de la faucheuse.

Une meute de loups avait eu notamment le temps de priver le corps sans vie de l’une de ses jambes et de sonder ses entrailles pour en retirer les intestins avant que la jeune éplorée de son regard terne ne les fasse fuir d’un grognement d’outre-tombe. Son corps cadavérique s’était mû pour vérifier d’une main distraite que le cœur était encore à sa place avant de traîner davantage le cadavre à elle, et reprenant sa place dans sa couche neigeuse, elle s’était bordée de fleurs glacées le regard levé vers le Ciel. Et là dans son tombeau de glace, elle avait attendu le retour du soleil serrant dans sa main les doigts cassés de son Eda.

Rejetant la nuit elle resserrait sa prise avec ardeur, son regard buvant goulûment les menaces silencieuses de la boule de feu. Elle le savait. Bien sûr qu’elle le savait qu’Eda allait finir de pourrir une fois le printemps arrivé. Déjà les perce-neiges fleurissaient autour d’elle lui découvrant avec gêne leur corolle nacrée, ajoutant ainsi à sa couverture neigeuse de nouveaux motifs floraux : patchwork douloureux. Comment pouvait-elle encore l’ignorer ? Elle le savait ! Bien évidement que toutes les nuits ses doigts creusaient les entrailles pour mieux s’assurer du déclin physique de la dépouille. Bien évidemment que cette fois ci sous le plafond étoilé qui leur avait fait office de toit elle n’avait trouvé qu’un dégueuli noirâtre et poisseux d’où gigotaient déjà des dizaines d’asticots. Les vermisseaux faméliques s’acharnaient d’ailleurs sur la peau ferme du seul être en vie, fourrageant leur nase entre les interstices charnus. Et si son corps frissonnait de ce contact pourtant dit post mortem, son regard se faisait toujours aussi lointain. Bien au creux du macchabé, ses doigts bleutés, douloureusement marqués par la morsure du froid, caressaient les côtes de son amie. Qu’elle était belle son Eda, oui qu’elle était belle.

Assurément le printemps était là.
Le cadavre grouillait de nouveau de vie.

Eda s’était envolée.
Son lémure voletait, déchirant ses haillons sur les baldaquins résineux et épineux de leur couche pour mieux les contempler, son visage dessinant un sourire si familier.

Ses paupières se refermèrent douloureusement. Arc-en-ciel. Le corps se mut pour nettoyer ses mains du passage gluant des larves en les enfouissant et frictionnant dans la neige; les engelures boudinaient ses phalanges, noircies d’ailleurs par endroit. Elle doutait, sourire aux lèvres, que son auriculaire gauche réchappe de cette aventure au sommet du Mont Astae, mais peu importait. Et même, quelle belle fatalité du destin : un peu d‘elle aurait crevé avec Eda, et ce n‘était pas chose insignifiante à son cœur. Nouveau sourire. L’esprit accompagna les membres quand ils rampèrent vers le cadavre fumant, et il se pencha lui aussi pour baiser les restes des lèvres purulentes de sa sœur de coeur. Saveur charogne.
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Grumpy

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MessageSujet: Re: Nouveau départ   Nouveau départ EmptyJeu 10 Mar - 21:51

Des lambeaux de leurs robes elle s’en était faite un baluchon de fortune. Le tissu purulent renfermait désormais les restes d’une bouteille brisée, un peu de son contenu passé, du lard fumé et rance, ainsi qu’une gourde usagée dont suintait un alcool capiteux. En somme rien qui n’attirerait les regards envieux des brigands rodant entre le pays d’Alidhan et les terres d’ici bas. Les frontières n’étaient pas sûres en ces temps difficiles, encore eût-il fallu qu’on les délimite réellement pour en assurer la sécurité. Les flux incessants d’immigrants empiraient la situation déjà inquiétante, nourrissant dans leurs passages les désirs de fortune de pauvres ères tombés en déchéance suite à la chute de Manelvor. De ce roi elle n’en savait pas de quoi converser gaiement avec un gentilhomme venu de la ville, en somme pas plus que n’en saurait une vulgaire paysanne d’un pays voisin. Du fermage et de la culture d’un champs, oui de ceci elle aurait même été à même d’endormir un insomniaque à force de moult démonstrations orales. Quoique l’idée de discutailler avec un malandrin puant et mal intentionné de la meilleure façon d’écosser un haricot lui paraisse quelque peu inconcevable.

Sourire malhabile.

Les bras ballants, le corps tacheté d’escarres, elle contemplait incrédule les lieux qui l’avaient accueillie plusieurs semaines voire sans doute mois. Elle se sentait si seule, et pourtant si pleine. Quelque chose germait en elle, elle le savait. Ses mains se tordaient sur sa poitrine naissante et sur son ventre qui ne devait s’arrondir sous aucun prétexte. Le jeun durerait. Nulle vie n’éclorait. Elle ne pourrait le supporter. Plus sans Elle en tout cas. Ses cris se feraient gémissements et dans sa chute elle l’emporterait. Sirupeuse agonie. Déjà elle l’entendait se gorgeant silencieusement de son eau, se gorgeant de sa vie. Ce salopard continuerait de vivre à travers elle.

Il était temps de prendre la route. Un ours décharné d’ailleurs se restaurait auprès du cadavre de son amie défunte. A quoi bon demeurer ici. Le malheureux baluchon coincé entre ses phalanges meurtries, un dernier regard jeté en arrière, d’un pas maladroit la frontière invisible était franchie. Alidhan.. Ni plus tempéré, ni plus chaud qu’un pas en arrière. Pourtant l’on contait jusque dans les chaumières reculées que sur ces terres la magie brûlait encore ardemment dans les plaines. Racontars de vieilles mégères en proie aux désillusions de leur futile existence ? Sans doute, et pourtant c’était la peur au ventre qu’elle avançait péniblement, se frayant avec difficulté non feinte un passage parmi les congères. Seule. Ardue solitude où seuls les fantômes floconneux sont vos compères de tablée.

Les entrailles criant famine, les pas gauches, la morve au nez, le front suant sous les bourrasques glacées, la frêle silhouette se mouvait. Morose gamine de glace. La ferme des Dabriols et Tholdnor étaient bien loin, trop peut-être même. Avait-elle un jour été cette intrépide gamine rousse jouant parmi les blés? Elle-même venait à en douter par moment. Ses mèches fauves fuyaient sa tignasse hirsute par secteur. Bien triste tableau, un myope lui aurait sans nul doute donné du « chaton mal léché ». Les traces se multipliaient dans la neige, toutes tournées vers le Sud. Le Sud et son climat chatoyant, le Sud et la Mer, cette vaste mare dont même un géant ne pourrait apercevoir la berge opposée. Le Sud, où personne ne la chasserait de sa fourche ou de son épée rouillée. Qu’avait-elle fait au juste pour mériter cette effusion de haine ? Elle n’en savait strictement rien, et ne se l’était bel et bien jamais demandée.. Ou peut-être trop.. Un frêle souffle pour chasser ses cheveux venus s’amouracher de son nez, et déjà les questions s’envolaient. Lancinante fatigue où nulle interrogation ne parvienne à s’ancrer.

Le Sud. Le Sud comme unique objectif. Toujours tout droit, toujours le Sud. Ce Sud qui lui tendait ses mains potelées à travers les nuages souris dans un dernier élan de bonté. Le destin l’encourageait. Des sourires bienveillants ornaient désormais les souches calcinées jouxtant le sentier boueux, les pins rachitiques de leurs branches effeuillées la poussaient en avant, les rocailles se faisaient braises sur son passage.. Elle avançait. Jouant tragiquement ses chances d’en réchapper aux osselets trouvés dans son baluchon, un rictus se tordait sur son visage.

La solitude comme seule compagne. Elle errait.

Elle n’aurait su dire combien de jours passèrent, combien de milles furent avalés. Elle savait juste qu’au bout il y aurait le Sud, son Sud à elle.
Affamée, exténuée, elle marchait. Certains vous diront que la volonté est parfois à l’origine de miracles, ce à quoi les cartésiens crieront à la bonne fortune. Oui, de chance, elle en avait eu, sans doute même avait-elle usé de tout son quota bonheur de ces seize premières années. Le temps s’était radouci, ses plaies s’étaient suturées, ornant son corps de fines cicatrices qui sans doute feraient plus tard son charme. Son auriculaire contre toute attente avait regagné sa couleur chair, mais demeurait inattentif à ses demandes nerveuses. Il était à espérer que le temps fasse son œuvre.

Elle s’autorisa une seule halte pour se rafraîchir dans l’onde d’un lac. Crasse et sueur s’étaient mêlées, l’enveloppant d’une couche hâlée se pelant sous ses grattements compulsifs. Elle n’avait plus rien d’une gamine, mais avait gagné du monstre. Le sang coagulé chamarrait sa silhouette, la parant de carmin en plus des meurtrissures mauves et bleutés déjà existantes. Sa tignasse ébouriffée tenait plus du bosquet où se mêlaient pommes de pins, et fougères que de la chevelure lisse et soyeuse qu’elle arborait jadis.
Gosse des bois qui s’apprêtait à troquer ses apparats agrestes pour ceux de l’onde chatoyante.
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