Une glissade la fit progresser de quelques mètres en avant. Elle se retenu de jurer tant sa position d'arrivée était cocasse.
Rire ou pleurer, tel était la question. Plutôt se remettre sur ses deux pieds, essuyer dans les herbes hautes ses gants noirs et continuer à avancer.

Elle avait entendu parler d'une auberge accueillante. .

Elle frissonna. Son nez était encore glacé. Encore ou à nouveau. A dire vraie elle ne se souvenait plus très bien.
Cela ne faisait que quelques jours qu'elle avait accepté de sortir de son coffre de glace. Depuis elle n'arrivait pas à se réchauffer.

A nouveau elle trébucha. Un piaillement se fit entendre suivit d'un bruit de mandibules claquant de façon rageuse. "Comme si j'avais le temps ... " Encore à 4 pattes, elle sortit son bâton d'un pan de son grand manteau et fit jaillir coup sur coup deux boules de feu. L'odeur de chitine brûlée fit retrousser son nez. Profitant d'un rayon de lune, elle récupéra la pépite dorée au milieu des restes calcinés.

Elle se releva et reprit sa marche. Enfin la silhouette de l'auberge apparu au détour d'un virage du chemin. A peine quelques lumières à l'étage et le tirage d'une cheminée qui crachait une fumée épaisse et grise.
Son pas s'accéléra. Enfin ! La fin ... fin ? Est ce qu'arriver dans un lieu inconnu à une heure aussi tardive était la fin d'un voyage ?

Elle éternua, manqua à nouveau de se retrouver au sol à cause d'une racine noueuse. "Un alcool fort et un lit ! je n'en demande guère plus !".
Elle frappa à la porte. Pas de bruit ni de mouvement derrière les fenêtres.

"Il ne manquait plus que ça ... "

Un parchemin attira son regard. Une ligne sauta à ses yeux : "Faites simple, en journée, frappez et entrez sans attendre de réponse puis asseyez vous à une table. En soirée, frappez et attendez ; si personne ne vient dormez donc ailleurs ou sur un banc dans le jardin de l'auberge."

"Haaaaaaaaaaaaan ! Mais quel dieu ais je bien pu offenser pour mériter çaaaaaaaa !"

Elle lança son pied de la porte dans l'espoir qu'elle s'ouvrirai. En vain. Le tenancier avait du fermer son lieu à clef et elle n'avait plus qu'à éviter de congeler dans le jardin.

Je ne m'étais pas résolu à enlever le parchemin de la boiserie du seuil, j'étais conscient que cela ne pouvait que m'attirer encore moins de clientèle mais, droit dans mes bottes, le temps où je dérogerai à mes principes n'était pas encore arrivé.

Assis sur un tabouret, j'observais d'un regard songeur les flammes essuyant machinalement un lot de casseroles. La porte avait tremblé, juste assez pour que je devine avoir un visiteur. Peut-être même avait-on crié ? Les crissements affolés des bûches couvraient à peine les ronflements de l'endormie au comptoir. Je ne comptais désormais plus les soirs où, exténuée, elle s'était assoupie devant moi. Ce comportement bien que répréhensible se comprenait, et étant une cliente habituelle, je ne pouvais me résoudre à la laisser à son chagrin. Je n'avais que mon silence et mon ignorance à offrir à ses interrogations, mais au moins la maintenaient ils parmi les vivants. Une occupation pour les yeux, et parfois pour l'esprit.

«  Il me semble avoir entendu quelque chose. »

Sans trop compter sur le fait qu'elle me réponde, j'avais formulé à haute voix ma pensée. La monotonie de sa respiration s'était toutefois brisée, signe du réveil de la jeune femme. Je me retournais vers elle, sans comprendre les raisons pour lesquelles j'allais consentir à lui offrir le choix quant à la destinée du nouvel arrivant. Allait-il devoir dormir à la belle étoile ce soir ?

Son regard encore brumeux me fixait désormais, j'hésitais alors à lui répéter mes propos puis renonçais quand je perçus un éclat dans ses yeux ? Je regrettais soudain d'avoir proféré ces quelques mots qui à eux seuls lui avaient violemment rappelé l'absence de ceux qu'elle avait fait ses compagnons. Sans qu'elle esquisse la moindre phrase, je percevais son excitation face au mystère de l'identité du nouvel arrivant tout en décelant pourtant qu'elle savait que ce n'était pas la et les personnes qu'elle attendait.

Je me levais derechef de mon tabouret, le malaise n'avait que trop duré, et me dirigeais vers la porte. Ma main s'appuya sur la clé et esquissa un mouvement rotatif avant d'enlever d'un geste rapide la barre de bois qui empêchait encore l'ouverture. Toutefois je prenais soin de garder en main ce qui pourrait faire office de gourdin, après tout, la prudence était de mise. La porte tourna sur ses gonds, baignant la pièce de la clarté de la lune.

« Qui va là ? »

Son cou s'enfonça dans ses épaules, ses mains se frottèrent les unes contre les autres. Que faire, rester là à attendre ou partir trouver un endroit hospitalier pour la nuit ?
Elle n'eut le temps que de générer deux nuages brumeux avec son nez que la porte se mouva sur ses gonds.

Un "qui va là" succéda au mouvement. Son sang ne fit qu'un tour ! Une présence humaine avec un voix qui ne lui déplu pas au demeurant.

Elle fit deux pas en avant, en essayant de ne pas tomber en glissant, levant le bras droit et de façon théatrale répondit :

"Mais moi voyons !!"

Elle gloussa, avant de reprendre :

"Pardonnez ma réponse, je suis fourbue et la fatigue me fait parfois délirer autant qu'un breuvage fermenté !
Dame Zyrthys, mage exilée ... "

Avant de continuer elle marqua un temps d'arret pour laisser à son interlocuteur le temps d'enregistrer les données fournies :

"Puis-je entrer ? Mes pieds vont se transformer en glaçons sous peu..."

Mon voyou n'était qu'une jeune femme, je veillais à ne pas soupirer de réconfort, et lui souris aimablement, en bon commercial.

« Mais bien sûr. »

J'esquissais un geste l'invitant à pénétrer dans mon auberge. M'apercevant que la druide s'était rapprochée, je me permis d'ajouter.

«  Ici peu m'importe l'appartenance politique de mes hôtes tant qu'ils se tiennent correctement. Vous serez donc amenée à croiser ceux que vous nommez ennemis sur le champs de bataille.. »

Je me retournais vers la jeune femme dont la chevelure blonde se paraît désormais de reflets roux cherchant dans son regard un acquiescement à mes propos. Je la savais guère belliqueuse mais voulais m'assurer que la nuit s'achève sans contrariété. Satisfait de ce que j'y lu, je me reculais, laissant celle qui se prétendait mage passer devant moi. Non sans avec un certain empressement, celle ci pénétra dans l'auberge, je refermais alors avec soin la porte derrière elle. La laissant faire quelques pas, je me dirigeais vers l'arrière salle, une choppe de lait chaud lui ferait sans doute oublier la température extérieure. Je jetais toutefois un regard furtif à Grumpy, celle ci ayant la fâcheuse tendance d'être d'humeur bougonne à ses réveils. Toujours immobile, elle observait la nouvelle venue dégrafer son manteau avant de s'en désintéresser pour se diriger vers le comptoir qu'elle avait quitté quelques minutes plus tôt.

Je me pressais alors chercher la boisson de ma cliente nocturne. Un lait de chèvre ferait l'affaire, il me semblait en avoir encore dans la marmite du fonds.

Non ce n'était pas eux. Ni lui, ni elle, non. Il n'étaient pas venus. Pas revenus.

Je retrouvais avec un certain réconfort l'assise désormais familière du tabouret, polissant à nouveau le bar de mes mains caleuses. Je passais une main hasardeuse par dessus le comptoir sans dénicher ni choppe ni bouteille, une moue réprobatrice se dessinant alors sur mon visage.

« Ainsi vous êtes donc de ceux qui défendent la légitimité de Kaldrass ? »

A ces mots, je changeais ma position sur mon tabouret pour observer la nouvelle venue. J'ignorais ce que j'escomptais en l'interrogeant ainsi, redoutant toutefois qu'il s'agisse d'une fervente admiratrice de celui que j'étais moi aussi censée aduler. A mes yeux le terme de Kaldrass regroupait les quelques noms de ceux à qui je tenais et qui eux se battaient réellement pour la cause exilée. En était-il autant pour elle ?

Sans attendre sa réponse, je me levais de mon tabouret et me dirigeais à pas lent vers le foyer, l'invitant à venir se réchauffer à mes côtés d'un léger sourire. Les nuits étaient froides ces temps si, et je doutais qu'elle ait trouvé de quoi se revigorer en dépit de ses talents magiques. Je me baissais poussant d'un geste rapide une bûche dans le feu, revigorant ainsi les flammes. Je rapprochais alors un tabouret et me positionnais auprès de l'âtre

« Je me prénomme Grumpy, et suis moi aussi sous l'étendard bleu. S'agissant de la révélation de Valérias, n'ayez crainte même si, il est vrai, ici, vous trouverez davantage de royalistes que de nos semblables, la majorité sont des gens respectables.. »

Je fixais mes mains, pensive, avant de poser mon regard sur elle. C'était à son tour de prendre la parole.

Ravie elle l'était lorsque celui qui devait être le tenancier s'effaça pour la laisser entrer dans l'auberge. Ses bottes foulèrent les lattes en bois et le bruit qu'elles provoquèrent lui fit sourire de plus belle.
Son sourire se fléchi légèrement lorsqu'on lui annonça que cette taverne acceptée toute personne, quelque fut son alignement.
Elle remarqua alors la demoiselle un peu plus loin dans la pièce, ses lèvres se pincèrent. Elle avait été trop souvent attaquée depuis sa sortie du glacier pour rester parfaitement détendue.

La moue associée à sa question ne lui laissait guère envisager de bons présage. Elle resta muette, remarquant du coin de l'oeil une choppe fumante lui étant destinée sur le comptoir.
Sa cape fut dégrafée d'un tour de main, trop heureuse de se débarrasser de cette pelisse trop peu chaude et trop humide. L'abandonnant sur une chaise, posant à coté son bâton, elle parcouru la courte distance qui la séparait du comptoir.


Ses mains enserrèrent la choppe et découvrir à l'odeur une quantité de lait des plus conséquentes. La femme continua à parler. Le nez dans le breuvage, elle ne se rendit compte un peu tard qu'elle se tenait maintenant près de l'âtre.
Elle rejoignit donc Grumpy d'un pas plus léger lorsqu'elle eu compris qu'elle n'était pas en présence d'une ennemie potentielle.

Elle se permit de s'installer sur un fauteuil laissé vide en poussant un léger soupir.

Je vais être honnête avec vous en ce qui concerne votre question ... Elle but une lampée de lait, laissant son esprit finir de formuler son idée. Je ne sais plus ... Je ... Elle tourna la tête, gênée de rougir. A dire vrai, je ne me souviens plus très bien.

J'ai des vagues souvenirs ... Mais depuis que j'ai été sortie de mon sarcophage de glace ... Je cherche à rassembler ma mémoire. Le gardien m'a redonné mon identité, mes effets ... d'un geste de la main elle montra son bâton et sa cape, mais à dire vrai, cela est un peu léger pour moi.

Je me souviens d'un homme... Ses yeux glissèrent vers Valérias. Nous étions très proche, intime je crois. Se ressaisissant : Veuillez m'excuser ... Je parle, je parle ! Mais je dois vous ennuyer avec mes histoires !

Valérias avait reparu l'instant de poser une choppe sur le comptoir à l'intention de la nouvelle arrivée, avant de filer à nouveau dans l'arrière salle. Je me doutais de sa lassitude à m'entendre épandre mon chagrin et mes regrets. Depuis qu'ils m'avaient tous abandonnés je n'avais eu de cesse de réapparaître dès que je le pouvais en ces lieux, espérant apercevoir leurs silhouettes et réentendre leurs rires, mais seul l'aubergiste m'accueillait à chacune de mes visites, avec une mine de plus en plus renfrognée. A défaut de converser avec les autres clients de la masure, je me faisais l'ombre taciturne de Valérias, bien involontairement. Toutefois le fait est que lui seul ainsi que l'invisible Kleber représentaient mon seul lien avec les disparus, justifiant sans doute que je sois réticente à les perdre de vue. Aussi compris-je facilement qu'il puisse chercher à regagner sa liberté.

Je reportais mon attention sur la magicienne, écoutant attentivement ce qu'elle avait à me répondre. Souriant machinalement à son aveu d'amnésie du moins partielle, je ne pus m'empêcher de penser que ceux que je venais à croiser avaient tous une histoire tumultueuse. Mon sourire se figea toutefois quand elle évoqua un sarcophage de glace, j'avais entendu que certains requéraient à ce procédé mais pour ma part je ne pensais qu'il s'agissait que d'une rumeur. A sa mention du souvenir d'une aventure amoureuse et de son regard vers l'aubergiste, je ne pus m'empêcher d'étouffer un rire maladroit, allant jusqu'à apostropher Valerias «  Allons donc vieux coquin, semblerait-il qu'on ait fait quelques cachotteries ! ». L'apostrophé, exaspéré par la remarque, se contenta d'hausser les épaules avant de reprendre son chemin vers les escaliers en direction de l'étage.

La magicienne s'apprêtait à rétorquer quelque chose, mais je la coupais en levant la main. « Ne vous en faites pas, j'ai bien compris qu'il ne s'agissait pas de lui.. Ceci est juste un jeu entre ce bon vieux Valérias et moi. Je vous en prie reprenez, votre histoire m'intéresse, et qui sait peut-être que ce que dont vous vous rappellerez m'évoquera quelque chose. »

J'ajoutais à mes paroles un regard bienveillant à son attention.

«  A moins que vous souhaitiez vous reposer ? Dans ce cas il faudra attendre que l'aubergiste redescende afin de vous allouer une chambrée.  Je doute qu'il tarde, il a dû simplement aller faire une ronde, histoire de vérifier que tout le monde se tienne tranquille. »

Je rapprochais mes mains du feu, comme il était agréable, en dépit de ma solitude, de me retrouver en ce lieu si reculé et si éloigné des préoccupations futiles du royaume. Mais, désormais, je savais que je ne pourrais revenir que rarement, j'étais désormais liée à la vie d'un autre, et me devais d'être présente à ses côtés le plus souvent. J'avais pensé à le mener, ici, mais préférant jalousement garder ce que ce plaisait certains à nommer leur jardin secret pour moi, j'y avais renoncé. A l'image de la masure perdue dans les brumes, tout ceci ne représentait que mon passé.