Une brise légère berçait la forêt recouverte de son manteau neigeux ; le silence, ici maitre de l’élément glacé, s’imposait à tous. Nul murmure, nul ébrouement des yétis dans la plaine, nul rugissement de colère des dragons des cavernes. Le silence. La paix. Quelques reniflements se faisaient cependant entendre de sous un grand pin. Pour un voyageur fatigué cela ne lui aurait apparu que comme un nouveau témoignage de son épuisement. Seul celui des plus attentifs aurait pu s’il avait pris la peine de rester quelques minutes sous la tempête blanche, ce qui en soit n’était guère probable, mais reprenons, distinguer une forme blanchâtre remuer par à-coup.
La boule de neige privée de visage s’agitait de temps à autre, agitation précédée de toussotements ou raclements de gorge des plus gracieux.
Se forger. Voilà ce qu’elle aurait répondu à ce voyageur, elle se forgeait, autant physiquement que mentalement à la morsure du froid. Ne faire plus qu’un avec la nature des plus hostiles en ces lieux, tel était son but, et dans la continuité apprendre à maîtriser les dons que lui avaient fait un vieux batracien par une belle journée de printemps. Printemps ? Cela allait bientôt donc faire une année qu’elle s’évertuait à comprendre l’essence même de ce que le vieux crapaud lui avait craché au visage en un vulgaire croassement.
Ma fille. Amour de la nature. Relation fusionnelle. Un tressautement accueillit ces vieux souvenirs, et bientôt la boule de neige se désagrégea pour révéler une jeune femme grelottante trempée de pied en cape.
" Au Diable, vulgaire crapaud !", jura t’elle en levant un poing violacé au ciel.
" Profite de tes vieux jours, bientôt ton regard arrogant viendra se joindre à ceux de ton espèce dans mon sac ", siffla t’elle en remuant sa besace qui émit une sonorité que l’on pouvait aisément apparentée à l’entrechoc du verre avec l’acier. Époussetant d’un geste agacé sa tunique humide, elle rajusta son chapeau et sa vieille cape d’un coup d’épaule et partit d’un pas rageur vers l’auberge la plus proche. Une couche, apaiser ses membres endoloris près d’un bon feu, voilà les seules envies qui côtoyaient désormais dans son esprit celle d’achever un crapaud centenaire. Des perles nacrées qui constitueraient sans nul doute le clou de sa collection.
" Tu paieras ! ", grogna t’elle. Voilà bien des jours et des nuits qu’elle se fatiguait à la tâche. La bestialité voilà ce en quoi elle avait toujours aspiré, et sa nouvelle transformation le lui permettait de temps à autre, de façon plus ou moins convaincante certes, mais elle ne pouvait se restreindre à ce seul aspect du pouvoir druidique. Ce dernier consistait surtout à se mêler avec l’élément naturel et non se laisser emporter, tel un vulgaire ovin, au grès de ses sentiments. Cela se révélait bien plus complexe en somme que se doter d’un manteau de fourrure et d’une paire de griffes pour faire place nette. Ses sœurs lui manquaient..
Mais diable pourquoi s’entêtait-elle à s’appliquer à exécuter les vieilles sornettes d’un imbécile de crapaud.. Fierté personnelle sans nul doute. Assenant à un bouquet floral un coup de pied impétueux, elle enfourna ses mains plus profondément sous sa cape et ferma les yeux tandis qu’elle se laissait guider par ses pieds habitués aux moindres escarpements des lieux. Du sang. Ses sœurs. Se libérer. Voilà bien longtemps qu’elle ne l’avait entendu, ni rêvé.. Ses membres frissonnèrent de nouveau, même si la cause en était cette fois ci bien différente. Son crâne glabre. La croix. Ses habits noirs. Son odeur. Lui qui était responsable de ses si soudaines crises de folie. Ce sentiment de haine et d’admiration qu’elle lui portait.. Absent, il était. Voilà d’ailleurs quelques nuits qu’elle essayait de le ramener à elle, se mettant en danger, se remémorant des sensations et sentiments qu’elle apparentait à ses dernières venues. Sa dernière partie de cache-cache dans la neige prolongée cela aussi implicitement c’était pour lui..
" Quand cesseras-tu donc de me donner du Il, pauvre sotte. "Son corps s’était immobilisé et ses yeux brusquement ouverts.
Non.. Chassant d’une main lasse ce qu’elle pensait être une vulgaire hallucination, elle reprit sa route.
" Je m’absente et tu t’apitoies. Je te reviens, et tu m’ignores. Je n’étais pas ignorante de la psychologie féminine mais tout de même elle me surprendra toujours.. "Ses dents s’étaient refermées violemment sur sa lèvre inférieure. Ses sourcils à présent froncés encadraient désormais un regard perplexe. Sa tête pivota légèrement à la recherche d’une quelconque présence..
" Que me veux-tu ? Je ne vois personne ici.. " Se contenta t’elle de rétorquer cette fois-ci convaincue de l’arrivée du nouveau venu autant réaliste que l’on aurait pu la qualifier.
" Nul âme à te donner, nul sang pour t’abreuver. " " Cesse femme, et écoute plutôt. J’ai désormais confiance en toi, je te sais acquise à ma cause et pas trop sotte pour bien la mener. Laisse là tes prétendus compagnons et livre toi à moi. "Diable.. " Silence femelle ! Écoute et entend. "Les derniers propos furent accueillis par la druide en une crispation de poing révélant des phalanges étrangement blanchies. Alors que fronçant le nez elle se préparait à assener à son apparition une réplique cinglante, la voix reprit.
" Regarde moi. " Injonction qui fut prise au pied de la lettre. Les yeux de la druide se refermèrent, Il apparut. Non.
Elle ! Comment ?! " Silence. ", coupa t’elle.
" Tu me vois à présent, ôte toi donc toute idée de me redonner du Il. " Grumpy s’abreuvait du visage qu’elle pouvait désormais apercevoir, visage auteur des nombreux meurtres qu’elle avait proféré sous son emprise. Une femme ! Une femelle ! Une garce ! La jeune femme avait toujours été convaincue de la nature de son apparition, voilà que le violeur de son enfance à la voix bourrue se révélait être une femme au crâne rasé à la voix suave. Bégayant d’hébétement, elle interrogea sa tortionnaire du regard.
" Surprise ! Surprise ! " ne put s’empêcher de retenir celle-ci en un sourire narquois.
" Je vais te laisser pour aujourd’hui je pense, histoire que tu assimiles tout ceci. " Tandis que le visage de la rieuse se dissipait, elle ajouta
" Ah oui, je te conseille l’Auberge de Valérias située non loin d’ici. Elle est bien plus agréable que celle de ce pauvre ivrogne de Rostis. "