Je vais me noyer.L’air me manque, mon cœur s’emballe affolé de se retrouver ainsi pris au piège dans sa geôle charnelle. Les barreaux s’ébranlent de mes coups de poings répétés, je veux sortir, je ne veux pas crever ! Pas ici, pas seule. Le geôlier m’ignore, j’entends ses pas monotones sur les pavés, insensibles il déambule le bougre, rythmant la cadence de ses souliers ferrés. Marche funèbre. Alors j’hurle, je le supplie, je lui promets des trésors qu’un homme ne pourrait refuser, mais la mesure de ses pas ne s’altère pas. Mes doigts glissent sur les barreaux, je m’écroule. Ma tunique fuit les eaux, elle vient même à me précéder et mon air devient mer. Je crève. Je m’enivre de ce liquide salé parmi les vagues écumant ma geôle. Je hurle, je m’insurge, et mes cris se perdent en des bans de bulles qui filent, effrayées, vers la surface. Je toussote, je balbutie. Je m’étouffe.
Les bulles azur éclatent, ma langue les goûte. Doucereuse aigreur. Mes souvenirs fusent, je me revois attablée, une plume d’oie dissimulée dans ma main brune de calle. Les arômes de l’encre se déchainent sur mes narines, je suffoque.
L’atmosphère s’alourdit, mes yeux me piquent. Je tousse. Erreur fatale. La fumée s’insinue profondément en moi me lancinant les bronches dans sa fuite éperdue. Elle me transperce, je deviens fumerolle, et mon corps vaporeux chaloupe dangereusement alors que mes ongles se referment durement sur ma gorge généreuse. Au feu ! A l’aide ! Les vapeurs se jouent de mes hurlements et les avalent goulûment. Mon corps se meurt. Il brûle. La cendre noircit mes joues blafardes, fond de teint caustique. Le plafond en feu caresse désormais mon front de ses fumerolles suaves, et je me targue de ses délices charnels.
Eau et feu se disputent le trépas de ma plume d‘oie.
Dévorées par les flammes les barbes jonchent le bois de leurs cendres souris, bien vite englouties par l’encre quinaude. Dans un torrent de lave parme je me perds. Balayée par les eaux en feu je m’embrase de nouveau avant d’être submergée. N’y a-t-il personne pour m’aider ?
Les visages lugubres des hommes couchés sur le papier me sourient béatement. Leurs mains purulentes se tendent en ma direction, me désignant d’un regard qui se veut orgastique à la Faucheuse adossée au pilier de cire. Ses esclaves faméliques non loin rient de ma disgrâce, et m’incluant dans leur ballet satanique se jouent malignement de ma carcasse. Les charognes suintent de mes restes, et dans ce dégueulis de chair putréfiée je me baigne plantureusement. Voluptueux bain que m’offre ma nouvelle matrice encapuchonnée. Dans l’obscurité et les cris je renais. Ovation démoniaque. D’une main fiévreuse, la Dame me caresse le front s’enorgueillissant de son œuvre. Dans la gerbe je disparais à trop dégobiller leur bectance putrescente.
Noyée en Enfer.Les blés se sont noircis. Je souffle sur les dernières braises, et suffoque dans l’encre. La cire a glacé mes boucles dans des spirales affolées, et mon front bariolé témoigne encore du combat qu’ont mené feu et eau. Mon regard égaré se pose sur les vestiges douloureux de la rixe des éléments, et là, le front en sueur, je comprends. Oui, j’appréhende enfin la tragédie qui s’est jouée ici, sur la singulière scène de ma secrétaire défraîchie. Un soupir de soulagement trouble l’encre et les vaguelettes formées finissent de rouler sur le parchemin, submergeant irrémédiablement mes écrits invisibles.
Mes paupières se referment et je me revois la veille anxieuse devant ma feuille blanche, jouant maladroitement avec la flammèche de la bougie mourante. La cire complaisante tâchait mon manuscrit piteusement vierge, narrant à mon regard inquiet l’histoire de plus d’une vie. Je restais indécise, et rejetant mon désespoir dans l’admiration insensée de mon chandelier, je pensais trouver réconfort dans l’incandescence de la flamme. Peine perdue. Oui perdue, je m’étais perdue dans la combustion. Seule la mort implacable avait su me retrouver.
Mes cils sourcillent. La lumière se fait. L’éclat se glisse entre mes persiennes de malheur inondant la pièce d’un flot ton soleil, et je me retrouve. Seule et crasseuse. Fruit mâché issu de l’union déplorable d’un ramoneur et d’une lavandière.
Douloureuse réalité.
Ils m’attendront bien là-bas un jour de plus. Ici ou plus loin, ça ne rime à rien. Je me fraie une couche parmi mes essais immaculés et retourne en Enfer souillée que je suis.