Les lumières papillonnent devant mes yeux, ma démarche se fait bancale, agrémentée de pitoyables glousseries. La terre tangue c’est une évidence. Et mes jambes swinguent elles aussi tout autant, se déhanchant au rythme du silence. Apeurées qu’elles sont les pauvres de ma fulgurante euphorie, elles fuient en tout sens. Et moi, je courre à leur suite, histoire de ne pas les laisser s’éloigner de trop. Une paire de pieds ça peut toujours se révéler utile, paraîtrait même que ça se revend bien sur le front de ce que disent tout ces estropiés de guerre.. Je souris à mon fulgurant trait d’esprit qui n’en était tout compte fait pas un, je pouffe de mon incohérence une main plaquée sur mes lèvres encore ivres de leur baiser prolongé avec le goulot d‘une bouteille. Puis tout s’arrête, et je reste là statique.
Statique ? Mes yeux rieurs courent le long des orbites creuses de mon regard absent, s’immobilisant de temps à autre pour loucher un bon coup. Mon nez me parait si loin et si près. Puis la rabat-joie revient, et me menaçant de son index elle m’invective de rester calme. Quelle bêtise, comment puis-je l’être ? Il fait si bon, le monde est si beau, je me sens si bien.. Les chauves-souris m’invitent de leur ballet aérien à les suivre, et tournoyant à grands cris je me perds entre ciel et terre. Ma cape claque au vent, et auréolée du fin tissu je crie au monde que je l’aime et que je le maudis. Mon corps se cambre et s’arcboute à grands éclats de rires et de larmes.
Agitant mes frusques d’amples mouvements des bras, je me fais moi aussi oiseau de nuit, et tournoie autour de mon aveugle de compagnon. Le visage ruisselant de sueur, je lui crache de me rejoindre, qu’il ne faut pas qu’il s’inquiète que je veillerai sur lui pour toujours, mimant mon implicite promesse de grands moulinets de bras dans le vent. Je ris tandis que mes cheveux accourent dans ma bouche, désireux de s’abreuver des derniers restes de ma beuverie. Sucre, aigreur, ils ne sont guère regardant. Et alors, eux aussi ivres ils s’envolent au vent, tourbillon couleur blé, invitant les branches croisées sur notre chemin à se mêler à la danse.
Des feuilles de houx nous ont rejoint, et me dardant le cuir chevelu de leurs boursouflures acérées, m’incitent à poursuivre ma folle route. Ma tête se fait lourde, obligeant mes pieds à prendre à droite pour empêcher l’inconsciente de rouler à terre. Le tapis mousseux caresse mes pieds nus les chatouillant de temps à autres, et je sautille naïvement de rocher en rocher. Quelques bêtes rampantes s’enfuient à notre passage, et je félicite mes cheveux de leur danse chimérique les priant poliment de me précéder. Une chouette hulule au loin, et lui répondant d’un miaulement aigüe j’invite l’oiseau à nous rejoindre. A poil, à plume, tous sont les bienvenus en moi cette nuit.
Mes mains curieuses se glissent sous ma cape et sacrifiant à la lune un bocal nassé elles jettent sur mon passage des dizaines de globes oculaires vitreux.. Quatre années de pleurs et de rires qui s’envolent dans les cieux pour retrouver leurs propriétaires restés aveugles trop longtemps par ma faute. Mes mains entourant ma bouche je leur crie d’aller se faire foutre, eux et leur descendance. Oui ivre de joie cette nuit, je le suis et ils se doivent tous de le savoir. Les troncs d’arbres fiévreux de ma visite viennent m’accueillir, ne m’étreignant cependant que timidement, novices qu'ils sont dans l'art amoureux. Enlacement à laquelle je réponds de dizaines de baiser que j’appose avec fougue sur leur écorce. Les lèvres humides et couvertes de lichen je m’éloigne pour dispenser à leurs compères semblable effusion de sentiments.
Je laisse ma joie exploser et me pends lascive à l‘une de leurs branches, qu’il fait bon. Que je t’aime, que je vous aime tous fiers soldats du Roy, fougueux cavaliers de Cyrosh, sévères archers du Puits.
La lune me sourit quand elle ne se cache pas derrière les épais fourrés brumeux. Je laisse mes pieds s’enfuir à sa rencontre lui susurrant de suaves paroles. Mes bras me lancinent douloureusement, mais je demeure pourtant ici les jambes ballotant aux vents et la tête apposée sur la mousse humide. Le Ciel se déchire. J’hurle. Le monde bascule et mes repères s’en repartent comment ils sont venus. Je suis poussière et je domine désormais prairies et rivières. Flottais-je ? C’est une certitude. Mes lèvres goûtent à la glace d’un nuage enneigé, après s’être brûlées sur la lave d’un volcan. L’encre noire d’un poulpe irrite mon avant bras, et je soupire tandis que des milliers d’autres moi se perdent au vent.
La plume glisse de ma main.
Le parchemin accueille ma tête endolorie.Il faisait bon cette nuit sur les Terres d’Alidhan.