Un filet d'eau ruisselait sur la paroi rocheuse. La couleur grisâtre de celle-ci s'était dissipée sous un lichen grandissant. Ces quelques gouttes côtoyaient la paroi depuis une dizaine de mètre en aplomb, passant de rigoles en rigoles, et finissant leurs courses dans une des ridules de mon front. Ce petit manège devait durer depuis quelques longues minutes à en juger l'état d'humidité de mes vêtements quand j'ouvris les yeux. Etait-ce une sieste, une nuit complète, je ne me souvenais plus. Le ciel, emplit de nuages bas et noirs, m'empêchait de prendre connaissance de l'avancement de la journée. Je me décidais à retourner à l'intérieur de ma grotte pour y faire un feu et ainsi sécher mes habits.

En regroupant machinalement quelques branchages, je me repassais le film de mes derniers mois, ici, loin de ma vie, loin de mes amis, de mes terres, de mes privilèges, loin de tout. Le bilan était assez mitigé. J'avais fait ce choix d'éxil, d'érémitisme, pour mûrir d'une part, mais aussi et surtout pour m'endurcir mentalement, pour devenir plus forte. Le bilan était assez mitigé puisque finalement, mes privations m'avait en même temps considérablement affaiblit physiquement. Je connaissais dorénavant avec exactitude chaque partie de mon corps, chaque recoin de mon esprit, mais le manque cruel d'entrainement avait passablement diminué mon instinct et mes réflexes.

Le craquement d'une des branches que je continuais à amasser me sortit de ma réflexion. J’avais empilé ces branches en plein centre de la grotte pour chauffer une plus large surface, mais aussi pour me permettre de me rabattre dans le fond de la grotte, protéger par le feu, d’une visite indésirable de bête affamée.

« Allez…. AAaaallllleeezzzz….mais AAAaaalllllleeeezzzzz… »

Rien à faire. J’avais beau agité mes mains en cercle, de droite, de gauche, groupées, écartées, rien. Même un simple projectile, rien ne venait. Je devais me résoudre à deux choses, premièrement il fallait que je reprenne l’entrainement, peu importe mon état ; deuxièmement, il allait falloir allumer ce feu avec la bonne vieille méthode des silex.

Assise en tailleur et quasiment avachie sur mon tas de branchage, je commençais péniblement à frotter un silex contre un autre. Une étincelle me faisait un coucou de temps à autre me permettant de conserver un peu de motivations.

Au dehors, l’orage avait éclaté, la pluie venait heurter le sol, éclaboussant de boue les quelques rochers m’entourant.

Me sentant faiblir, je stoppais mon effort. Je profitais de cette pause pour ôter mes vêtements humides et les accrochais à un morceau de roche dépassant de la paroi. Cette interruption ne pouvant trop se prolonger par crainte d’hypothermie, je recommençais à heurter mes silex l’un sur l’autre.

Le feu ne prenait pas. Les étincelles se faisaient de plus en plus rares. La pluie n’en finissait plus de tomber et commencer à éclabousser ma toge et mon visage. Le bruit lancinant de ces gouttes sur la roche me donnait peu à peu mal au crâne. La fatigue se faisait de plus en plus ressentir. Mes membres s’engourdissaient…

« AAAAAAAaaaaaaaaahhhhh !!!!!! »

Mon cri avait transpercé la nuit. Un trop-plein. Le cri du désespoir, le refus de mourir ostensiblement affiché. Je m’étais laissée submerger par mes émotions. Un raz-le-bol mobilisateur… voila…un raz-le-bol mobilisateur.

Un projectile flamboyant avait enfin jailli de mes mains. Mon retrait de tout m’avait permis de contrôler mes humeurs, trop peut être. J’avais d’ailleurs omis que la magie nécessité une part d’aigreur, d’hostilité pour prendre sa pleine mesure. Peu m’importait cet excès, j’avais dorénavant mon feu, et mes affaires allaient enfin pouvoir sécher.

Les flammes dansaient enfin donnant des couleurs jaunes à rouges au mur de ma grotte. Cette lumière offrait à qui voulait la possibilité de voir les quelques dessins qui ornaient mon abri. Souvenir de mes longs moments de solitude…

Mes habits étaient enfin secs et je pouvais dès lors récupérer un peu de chaleur. Je m’étais allongée de tout mon long, pour récupérer les quelques morceaux de bois mort jonchant l’entrée de ma grotte. Je nourrissais le feu tout en gardant ma position allongée. Le feu brûlant à mes cotés me redonnait un peu le sourire. Le bois humide que je venais d’ajouter au feu avait créé un manteau de fumée couvrant le plafond entier. Ce nuage de fumée donnait vie à moult images représentant aléatoirement une forêt, une montagne, un loup, un visage… De mon coté, je me trouvais une nouvelle occupation : deviner la prochaine image que me proposerait mon plafond.

Le visage qui venait d’apparaître ne m’était pas familier. Je tentais, par tricherie, d’osciller un bras pour modifier légèrement l’apparence de celui-ci, mais rien n’y faisait. Plus je bougeais, plus les traits de ce visage me paraissaient nets.

« Bon y’a plus moyen de jouer… foutu nuage...! »

Mes yeux se refermaient doucement et je m’apprêtais à rejoindre le royaume des endormis quand une voix suave et mélodieuse m’interpella.

« Et alors ? C’est tout ? Vous ne voulez plus jouer ? »

Tout en gardant ma position horizontale, je relevais la tête et ouvrais un œil pour tenter d’apercevoir mon interlocutrice. Elle était assez grande, vêtue d’une sorte de toge noire, le crâne rasé et regard profond. Rien de choquant ni de terrifiant quand on arrive à mettre de coté l’étrangeté d’une discussion avec un nuage de fumée…

« Je n’savais pas qu’inhaler de la fumée amenait à des délires pareils… soit… allez re-dodo »

Mon subconscient mêlé à une trop forte inhalation semblait avoir pris le dessus sur ma raison. Je fermais de nouveau les yeux, mais continuais à entendre cette voix obsédante. Elle me répétait sans cesse que tout retrait de la vie devait avoir une fin, que je devais enfin me reprendre en main, que j’avais acquis la maturité nécessaire pour reprendre le cours de ma vie normalement, que le royaume avait besoin de moi. Je la laissais parler longuement, quand, ennuyée par la redondance de ces propos, je profitais de sa dernière phrase pour rebondir et finalement accepter la discussion.

« Et donc ? Le royaume a besoin de moi ? Mais rappelez moi, quand je l’ai quitté ce royaume, qu’a-t-on fait pour me retenir ? Hein ? Hého ? Vous savez bien que tout le monde s’en foutait de mon départ. Pourquoi voudraient-ils absolument mon retour maintenant ? »

La demoiselle au crâne rasée donnait l’impression d’avoir réponse à tout et me répondait à brûle pourpoint.

« C’est ce qu’ils ont voulu vous faire croire… et force est de constater qu’ils ont réussi. »

« Ils ont voulu me faire croire que tout le monde se moquait de mon départ ? N’empêche que je suis quand même partie et personne n’a cherché à me retrouver. Moi ce que je crois, c’est que vous avez un pet’ au casque et qu’il est un peu plus gros qu'une piécette d’or ! »

« Ne vous énervez pas… Vous avez peut être omis de penser qu’ils vous savaient friable. Ils vous savaient puissante mais fragile. Peut être ont-ils juste voulu que vous acquériez la maturité nécessaire pour alors devenir une de leur pièce maitresse ? Ou peut être ont-ils tout simplement voulu vous protéger. »

« Vous savez, vous faites des belles phrases, et on a sincèrement envie de vous croire, mais j’ai bien peur que vous ne soyez loin de la réalité de l’époque. »

« Soit. Je vais vous laisser vous endormir de nouveau. Réfléchissez bien… Je viendrais vous rendre visite d’ici peu »

Je laissais retomber ma tête sur le sol, et commençais à me repasser le fil de la conversation…

« Hééé, vous avez un nom aussi ? »

« Les guides et les crieurs ont pris l’habitude de me nommer Cyphile. »

La pluie s’était arrêtée et avait laissé place à un ciel voilé. Une nouvelle journée commençait, et j’espérais d’elle qu’elle me réserverait des activités somme toute plus banales que celles de la veille. Je ne me souvenais plus de tous les détails, mais j’étais certaine, en voyant les braises du feu encore fumantes, que ce n’était pas un rêve.

Je descendais instinctivement vers la rivière pour y faire un brin de toilette et profitais de cette marche pour me remémorer, du mieux que ma mémoire me le permettait, cette discussion avec cette « Cyphile ».

Je ne me souvenais pas avoir eu le dessus sur elle à aucun moment de la conversation. Moi, qui par habitude, arrivais à prendre l’ascendant sur n’importe qui ! Moi ! Surclassée ! Dominée ! Elle avait un tel bagout, une telle verve ! Peut-être avait-elle raison après tout. Les royalistes me connaissaient assez pour savoir ce qui était bon pour moi. Et puis surtout, ils savaient que mon choix était fait. Je me posais tant et tant de questions que sans avoir répondu vaguement à la moitié d’entre elles, j’étais déjà arrivé au bord de l’eau.

Non sans avoir jeté un coup d’œil à la ronde, je me déshabillais pour entrer dans la rivière et me nettoyer de toute cette boue qui avait séchée sur moi pendant cette longue nuit près du feu.
J’avançais timidement un pied en direction de l’eau que je savais glaciale quand de nouveau j’aperçus son visage réapparaitre comme un reflet dans l’eau.

« Alors, pas trop froide ? Dites, vous avez réfléchit au suj…. »

« Maaaaiiiiiissssss euuuuuuuh ! »

J’attrapais rapidement mes affaires et m’en couvrait poitrine et bas-ventre.

« Z’avez pas autre chose à foutre non ? Vous voyez pas que je me lave ? »

Cyphile s’était excusée en grommelant, faisant mine de se retourner et laissant apparaître sur le fil de l’eau, l’arrière de son crâne tondu. Je l’entendais pester, mais elle repris :

« Donc je disais, je suppose que vous avez réfléchi à notre discussion d’hier soir ? »

« Mais vous êtes s’couée ma pauvre amie ! Vous voulez vraiment pas me laisser faire ma toilette d’abord ? Vous savez, je n’ai pas un calendrier très rempli en ce moment… Peut être pourrait-on se don…..RE-TOUR-NEZ-VOUS ! donc… se donner rendez-vous en milieu de journée ? J’aurais eu le temps de cogiter la dessus en plus. »

« Soit… alors on se donne rendez-vous d’ici quelques heures, c’est noté. En attendant je vais me faire quelques brasses pour me détendre un peu. Et puis vous savez moi c’est pareil… j’ai pas grand-chose à faire de mes journées en ce moment… »

« Mes genous oui ! Vous allez rien brasser du tout ! Je vous dis que je me lave, là ! »

Cyphile avait fini par me laisser seule. Je pouvais enfin me laver, retirer cette odeur de terre qui souillait depuis trop longtemps mon nez. La température de l’eau avait rendu ma toilette rapide. Je m'habillais et reprenais le sentier remontant à mon campement où je comptais bien faire le point sur ce possible retour à la vie.

La journée touchait à sa fin. J’avais passé la journée à faire des dessins, scrutant de temps à autres les flammes et la fumée dégagée par celle-ci dans l’espoir d’y voir apparaître mon étrange invitée. J’avais terminé mon état des lieux, rangé mes affaires et j’étais prête à partir. Son message avait raisonné en moi. Elle avait su me convaincre que ma retraite devait prendre fin rapidement. Je croyais de nouveau en mes capacités, en mes envies d’aider mes amis royalistes… J’attendais juste son apparition pour lui apprendre la grande nouvelle.

Alors que je me résignais à me coucher, je sentis la température extérieure s’effondrer subitement. Je me rapprochais du feu. Je voyais autour de moi une vague de glace recouvrir toutes les parois de ma grotte. Mon feu, ma dernière lumière, avait finit par rendre l’âme.

Une lumière d’une clarté rare courait sous la glace, le long des murs. Elle balayait ceux-ci de bas en haut, s’éteignant par moment, cherchant à fuir mon regard. Je renonçais à suivre les mouvements de cette lueur, espérant que cette danse cesserait.

« Alors ? Vous en avez pensé quoi ? C’est sympa comme entrée non ? »

« Sympa ? »

« Bah quand même… Y’a toute une chorégraphie la dessous. Vous imaginez un peu l’énergie que ça me coûte ce genre d’entrée ? »

« Mouais, n’empêche, je trouve ça un peu hum… surfait ! »

« Vous semblez vraiment blasée de tout. Bon soit. Vous avez fini de réfléchir ?»

« Oh que oui »

« Et…… ? »

Et… je me rendais compte que ma dernière réponse était inapproprié. On pouvait saisir toute la précipitation que cette phrase sous-entendait. Simplement, Cyphile m’avait convaincu, mais il fallait que je me tempère.

« Et… bah, je crois que je vais retourner là où les combats font rage, là où je serai, je l’espère, utile. »

« Ok »

« Ok ? C’est tout ? »

« Je vous ai aidé à reprendre le cours de votre vie. C’est déjà pas mal, non ? »

« Oui, enfin nan, enfin j’veux dire..., vous n'claquez pas des doigts et paf je me retrouve dans une auberge du coté de Brosems, ou Nedmor? Enfin je sais pas… »

« C’est vous la magicienne, non ? »

« La magicienne, oui, m’enfin ça fait un moment que je suis partie, je suis perdue maintenant ici.»

« Passez une bonne nuit. Demain un ami à moi, un guide, viendra vous chercher pour vous conduire vers l’auberge la plus proche. Il s’appelle Kleber, et je préfère vous prévenir, il n’a pas autant de patience que moi. Maintenant dormez, demain la route sera longue. »

Cyphile était repartie, me faisant la gentillesse de reprendre ses pans de glace et de rallumer mon feu d’un claquement de doigt. D’un clin d’œil appuyé, elle me fit comprendre qu’elle avait assez de puissance en elle pour m’emmener où je le voulais comme elle le voulait, mais que le retour à la réalité devait se mériter.