La pluie avait enfin cessé. Kleber venait de pousser la porte de l’auberge. Je l’imaginais déjà s’installant à une table, une bouteille de gnôle dans une main et un morceau de frometon dans l’autre, reposant celui-ci pour passer à une tranche de pâté façon campagne. Il la connaissait bien cette auberge. En repensant à ce qu’il m’en avait conté, je savais qu’il était là, bien, serein.

De mon coté, j’étais restée dehors. La pluie ayant fini de battre le sol, je me permettais de déambuler quelques instants autour de ma nouvelle demeure, histoire de bien en prendre toute la dimension. Je notais qu’une sorte de pergola avait été installé contre un des murs de la bâtisse. Je supposais que Valérias, celui que Kleber avait présenté comme bienveillant, avait surement fait installer cette excroissance pour y accueillir les voyageurs sans le sou.

Je continuais mon inspection, passant de flaques en flaques, en notant le point d’eau et les futures douches que je ne manquerais pas d’y prendre. Je m’étais habituée à faire une toilette tous les jours. Ce n’était pas le cas pendant ma période chez les ascètes, mais il n’est jamais trop tard pour devenir un peu coquet. Quelques bancs étaient disposés ça et là, et le bâtiment semblé solide et entretenu. Je retournais à la porte et, imitant Kleber, je frappais deux fois celle-ci avant de l’ouvrir.

Je pénétrais timidement dans la salle, me dirigeant vers une table libre. Il y avait peu de monde, et je n’avais que l’embarras du choix. Kleber était assis comme je l’avais imaginé, seul au milieu d’un véritable festin. Benoîtement, j’agitais une main pour lui montrer que j’étais enfin entrée.

« Et cette petite dame… elle désire ? »

Un homme d’une petite quarantaine d’année, les cheveux longs et bruns se tenait à coté de moi, une serviette ballante sur son avant-bras, le sourire aux lèvres. Je dévisageais le jeune homme, et me reprenant, répondais…

« Valérias ? »

« Vous désirez Valérias ? En voila une drôle d’idée ! »

L’homme eût un rictus puis me tendant sa main libre rétorqua :

« Pardon, je taquine. Effectivement, c’est bien moi. »

J’attrapais sa main et la balançais deux ou trois fois sans le quitter des yeux.

« J’ai entendu beaucoup de bien de vous. Vous accepteriez de vous asseoir avec moi quelques instants, après m’avoir servi un verre de vin chaud ? Vous n’avez pas l’air d’avoir beaucoup de monde et, étant donné qu’il est prévu que je reste dormir chez vous pendant un bon moment, on pourrait ainsi faire un peu connaissance… »

Le tavernier avait accepté cette proposition. Il retournait à son comptoir préparé ma commande. De mon coté, je me préparais au grand déballage de tristesse. Je n’avais pas d’argent et je savais qu’il allait me falloir être persuasive si je voulais rester au chaud dans l’auberge plutôt que sous la pergola en attendant la prochaine averse. Je me raclais la gorge et attendais son retour, anxieuse…

Je préparais avec soin le vin chaud de la demoiselle sans lésiner sur la cannelle. J’aimais particulièrement cette épice qui embauma très rapidement toute la salle.

Déposant deux verres sur un petit plateau, je lui apportais le premier, qu’elle s’empressa d’attraper collant ses mains contre le bord de celui-ci. Une frileuse qui, probablement, se réchauffait les mains comme elle le pouvait.

Je déposais le second verre face à elle où je m’installais sans attendre. L’auberge était plutôt calme aujourd’hui, je pouvais bien prendre quelques minutes et profiter d’un vin chaud avec une future résidente.

Elle avait les cheveux mouillés et le teint pâle. Impossible de savoir si c’était un coup de fatigue ou sa couleur de peau naturelle.

Alors comme ça vous avez entendu du bien de moi ?

Oh surement cette histoire de dragon des neiges…

Je me retournais pointant du doigt cette tête empaillée qui jalonnait toute la salle.

Impressionnante n’est ce pas … une authentique tête de dragon des neiges ramenée suite à quatre jours d’un combat des plus sanglants…

Les yeux dans le vague, je réalisais soudain que j’extrapolais, à force d’entendre cette légende… Je portais la coupelle rougeâtre à mes lèvres et me délectait de son contenu.

Enfin bref, là n’est pas notre histoire, chère demoiselle.

Vous me disiez vouloir passer quelques temps dans mon auberge n’est ce pas…

Comme vous l’avez remarqué précédemment, il n’y a pas grand monde aujourd’hui. Finissez donc votre verre de vin chaud et je vous propose de faire le tour des chambres. Si votre séjour en ces lieux dure un petit peu, autant que vous soyez installé dans la chambre qui vous conviendra le mieux. Seule la chambre numéro 4 à l’étage est occupée. Je vous demanderez donc de ne pas pénétrer dans la pièce. Les locataires partiront demain et si vous souhaitez vous pourrez la voir lorsque j’aurais fait le ménage et qu’elle sera à nouveau disponible. Si elle vous convient mieux qu’une autre vous pourrez éventuellement la prendre dès demain. Vous pourrez également jeter un œil à la chambre du grenier et celle de l’arrière cuisine pour combler votre curiosité mais vraiment je ne vous les recommande pas. Je les donne simplement lorsque l’auberge affiche complet et qu’une personne n’est vraiment pas en mesure de repartir.

En ce qui concerne les alentours vous pourrez trouver quelques prairies et forêts qui vous promettront de jolies randonnées. En revanche, on ne trouve rien d’autre à moins de deux heures de marche à la ronde.

Autre petite chose à connaître dans le fonctionnement de l’auberge. Comme vous pouvez le voir, je m’efforce de bien l’entretenir, aussi je vous demanderez d’en tenir compte pour le confort de chacun d’entre nous. Oh ne vous méprenez pas, ce sont des règles que je dicte à chaque nouveau résident.

Je terminais mon verre, elle, avait déjà terminé le sien. Je me levais et débarrassais la table. L’invitant à me suivre jusqu’au comptoir, je lui confiais mon trousseau de clefs avec un sourire courtois.

Bonne visite mademoiselle …

Valérias m’avait mis les clés dans les mains et m’encourageait à commencer la visite seule. Je n’avais pas eu le temps d’en placer une, et me sentais désormais honteuse, après un tel accueil, de devoir lui avouer l’état de mes finances.

Je m’avançais donc clés en main vers l’escalier dans le but de visiter les premières chambres. Après avoir entendu le grincement de la première marche, je me retournais, décidée à expliquer la situation le plus clairement possible.

« Heu… M’sieur Valérias ? »

L’aubergiste avait relevé la tête et on voyait maintenant celle-ci dépassé légèrement du comptoir.

« Ah euh vous êtes là… »

Valérias sortit un cahier sur lequel était annotée la gestion de l’occupation de ses chambres. Je retournais donc au comptoir et y posais mes coudes. Il me fit signe de ne pas faire attention à ce qu’il faisait et que j’avais toute son attention. Je commençais mon explication en prenant quelques chemins détournés.

« Je voulais savoir, la forêt dont vous m’avez parlé, vous pourriez m’en dire un peu plus, enfin juste où elle se trouve déjà… »

Il pointa du doigt une direction et ajouta pour compléter son explication plus que légère :

« A peu près 25 minutes de marche par là. »

« Si je vous demande, c’est juste que, comme vous pouvez le voir, j’ai beaucoup perdu de ma force d'antan, et un peu de course et d’entrainement là-bas me feraient le plus grand bien. Pour tout vous dire, je crois même que je serais à l’heure actuelle, dans l’impossibilité de porter ne serait-ce qu’une bière à travers toute cette salle.»

A travers cette phrase, je prenais les devants sur une probable future proposition. Le service n’étant pas du tout ma tasse de thé, il comprendrait bien que je ne pourrais lui rendre aucun service à ce niveau, une fois qu’il serait au courant de ma situation.

Je poursuivais, tentant de jouer sur la corde sensible.

« Vous savez, ça fait pas loin de deux ans que j’ai décidé de vivre recluse. J’ai passé des années à combattre pour Galoregor, notre bon vieux roi… Mais j’ai aussi souvent été blessée lors de combats interminables… Et puis un jour j’en ai eu marre, alors je suis partie, enfin, nous sommes partis puisque nous étions quelques uns à prendre cette décision. Les jours sont ensuite passés, les uns derrière les autres, toujours les mêmes, une vie somme toute monotone. Vous savez, je n’ai d’ailleurs pas mangé à ma faim tous les jours, ce qui explique mon état actuel. J’étais une grande magicienne, et maintenant je ne sais même plus balancer un boule de feu à trois pieds devant moi. J’ai honte vous savez… Regardez-moi, même ma tenue est dans un état déplorable. Vous n’imaginez pas comme j’ai honte… »

Valérias continuait d’écrire sur son petit cahier, les résidents et les chambres qu’ils avaient réservées pour les jours à venir. Il leva un œil, fit une petite grimace et, attendrit , proposa :

« Si je puis vous être utile pour quelque chose, n’hésitez pas à demander, je verrai si je peux vous aider…»

« Et bien c’est que toute cette époque est révolue. Kleber est venu me chercher hier matin dans mon refuge, et euh… hum… Disons que je pensais ne passer qu’une seule nuit ici. Et en fait, je pensais que Kleber vous connaissait assez pour qu’on soit traité comme des invités. Vous savez, des invités… enfin euh… des gens qui… »

« Vous n’avez pas d’argent ? C’est bien ça ? »

Je savais qu’à un moment j’allais être dans cette situation. Je le savais et pourtant je ne m’étais pas imaginée la honte que j’allais ressentir. Une chair de poule s’installa sur tout mon corps, et mes jambes commençait à vaciller. Je m’asseyais sur un tabouret, espérant que Valérias aurait une solution, même provisoire, à me proposer.

Je posais mon registre sur le comptoir, et l’observais, assise sur ce tabouret. Elle semblait vraiment sincère, vraiment victime de ce sentiment de honte. Une histoire évoquée avec une franchise certaine. Elle revenait d’une longue période de solitude, et la fatigue qui se lisait sur son visage ne pouvait pas être une mise en scène.

Je poussais un profond soupire, tendant la main afin qu’elle y glisse le trousseau de clefs confié précédemment, et, le déposais à sa place initiale.

Vous vous doutez bien que je ne peux vous laisser une chambre gratuitement. J’ai une auberge à faire tourner et si je commence à accueillir des voyageurs sans argent je pourrais dès demain fermer l’auberge.

Je me penchais au dessus du comptoir, m’approchant ainsi du visage de la jeune femme pour que notre conversation reste discrète.

Bon, vous me semblez tout à fait sincère et j’aurais peut être quelque chose à vous proposer. Comme évoqué précédemment, il y a une chambre dans l’arrière cuisine, ou plutôt un vieux matelas posé à même le sol. C’est une petite pièce dépourvu de tout confort, néanmoins vous pourriez y dormir et bénéficier de la chaleur de l’auberge.

En revanche, je ne peux vous laisser cette pièce sans contre partie. J’ai certains habitués qui remarqueront rapidement votre présence et s’ils imaginent que je vous loge gratuitement ils vont très vite me causer des soucis.

Je retournais derrière le comptoir afin d’attraper mon registre.

Voilà ce que je vous propose en échange de cette chambre. Comme vous pouvez le constater dans dix jours, je dois organiser une réception pour un mariage. C’est un vieil ami, qui pour l’occasion à choisi de fêter cet événement ici. Quasiment toutes les chambres de l’auberge seront réservées. Je dois également préparer la salle, les affiches, le repas et tout se qui va avec. J’aurais donc pas mal de travail à faire ces prochains jours.

Ce que je vous propose donc, comme votre état physique ne vous permet pas de m'aider sur des tâches plus fatigantes, c’est un atelier manuel. De la découpe, mise en forme et création d’affiches pour le mariage. Je vous demanderez également d’apposer les noms des invités sur de petits cartons, de plier les serviettes. Voilà pour ce qui est du mariage.

J’ai également tout un tas de vieux papiers à trier. Je n’ai jamais pris la peine de le faire, ce ne sera donc pas une partie de plaisir, mais si vous pouviez classer ces documents par année et par type cela m’évitera sûrement de perdre deux jours la prochaine fois que je chercherais un document.

Ha également, vous me parliez de forêt, disons que si vous chassez quelque chose, nous cuisinerons le gibier, vous pourrez m’aider à éplucher les légumes par exemple.

Je refermais le registre que je poussais vers la jeune femme.

En contre partie, je vous loge dans cette arrière cuisine et vous nourris à votre faim jusqu’à ce que vous repreniez des forces.

Je regardais la jeune femme, attendant son avis. Elle me donnait un coup de main et je la logeais, cela me paraissait tout à fait juste pour les deux partis. La demoiselle hésita un instant. Je lui tendis une main, paume vers le haut. Elle topa.