[cinq jours avant la soirée de mariage]

° Précédemment °

Je souriais, nous étions enfin arrivés. Nous n’allions pas passer la nuit dehors au milieu de ces bois et cela me redonnait du baume au cœur.

Nous reprîmes la route sans rien dire, la lumière se faisait de plus en plus nette. A chaque pas, nous percevions des bruits. D’abord un bruit sourd, puis des rires, et enfin des mots…

Là de l’autre côté de la porte nous nous apprétions à entrer. Un regard vers Kleber. Je soupirais.

Kleber…

Il m’accordait un regard, le premier depuis le début de notre parcours. C'était la première fois qu'il semblait apte à m'écouter, comme s'il savait que ce que j'avais à lui dire avait une importance certaine.

Merci…

Un mot qui représentait bien plus qu’un remerciement. Un mot qui lui témoignait non seulement ma gratitude, mais aussi des excuses pour mon comportement exécrable, pour mes doutes…

J'avais depuis le début remis en cause sa parole, le sens de l'orientation d'un guide, je voulais m'expliquer, lui dire que j'étais fautive, que j'avais peut être fait tout ça pour me voiler la face, parce que j'avais peur de recommencer à vivre. Que mon comportement n'était pas celui que j'aurais du avoir...

je m'apprêtais à vider mon sac lorsqu'il me coupa net la parole.

Mais frappez donc à cette porte, bon sang, on ne va pas passer la nuit dehors.

Un sourire échangé, naissance d'une complicité, trois coups frappés… Nous attendions désormais que notre hôte nous ouvre sa porte…

*Cliiiingg*

Assis sur l’un des tabourets entourant la table, je venais de trinquer avec un vieil ami. Nous nous étions enfin mis d’accord sur le nombre de personnes que l’auberge pourraient recevoir le jour de son mariage. Il s’y était pris un peu tard le futur marié pour réserver les chambres et les tables pour le banquet. Nous avions décidé, registre en main, que je lui allouerais cinq chambres et pas une de plus. Pour le repas, nous avions convenu d’un plat unique rassasiant vingt-cinq convives. Satisfaits de s’être entendus, nous vidions à nouveau nos verres.

La porte de bois avait résonné trois fois. La personne se trouvant derrière celle-ci ne s’était sans doute pas rendue compte de l’heure tardive et tentait tout de même sa chance. De mon coté, j’étais embarrassé. Mon auberge était fermée depuis une bonne heure, mais je ne pouvais pas refuser cette visite. Nous étions, mon ami et moi, assez bruyants, la lumière était encore allumée, et il me restait bon nombre de chambres en manque de locataires. Je levais mes fesses du tabouret et me dirigeais vers l’entrée. D’un geste machinal, j’attrapais mon trousseau de clé qui se balançait à un passant de mon pantalon. J’ouvrais…

« Ah… Kleber… Ca me fait plaisir que ce soit toi. A cette heure, on ne sait jamais vraiment sur qui on tombe. Je vois que t’es accompagné. Entrez donc, je vais vous filer un morceau à manger et un peu de flotte. »

Les deux voyageurs ne s’étaient pas fait prier pour entrer dans la salle. Avant que la demoiselle ne s’installe, je lui proposais une visite des quelques chambres restantes. Quant à Kleber, je le connaissais suffisamment pour savoir qu’il se satisferait de ce que je lui donnerais. J’allumais une bougie, et emmenais la demoiselle avec moi, vers les deux chambres disponibles à l’étage. Après celles-ci, je poursuivais la visite, descendant lentement les escaliers pour éviter la chute. La lumière produit par la bougie n’éclairait guère plus loin qu’un pas devant moi.
Donnant un tour de clé dans la serrure de la chambre du rez-de chaussée, je questionnais la voyageuse.

« Vous êtes juste de passage ou vous comptez rester plus qu’une nuit ? Enfin ce que je veux dire, c’est que si c’est pour une nuit seulement, c’est peut être finalement pas nécessaire de visiter toutes les chambres, n’est-ce pas ? »

« Il est prévu que je reste un peu ici. »

Je notais la réponse, et, donnant un léger coup d’épaule dans le montant de la porte, j’ouvrais la chambre en grand. La demoiselle avait fait un pas vers l’intérieur. Je zieutais la réaction de celle-ci, et comprenait aisément que cette pièce lui convenait. Je poursuivais.

« Je suppose que vous avez trouvé. On est à 19 pièces d’or la chambre, Kleber a dû vous tenir informé des prix. Ca inclut la chambre, l’utilisation de la source d’eau à l’extérieur, et le petit déjeuner de demain. Voici les clés. C’est la chambre 1. »

Je refermais la porte, laissant ma nouvelle résidente y installer ses maigres affaires, le temps que j’apporte en salle de quoi les restaurer, elle et Kleber.

Les clefs déposées dans la paume de ma main…Il venait de me laisser seule dans cette nouvelle chambre, ma chambre…

Un vieux planché que j’aimais entendre grincer sous mes pas, une petite table à chevet sur laquelle je déposais mon sac. Une armoire qui me servirait certes assez peu. Ce n’était pas les quelques affaires que j’avais dans mon sac qui suffirait à la combler. Un coffre au dessus duquel une fenêtre.

J’observais la lune songeuse et souriais à l’idée de passer un hiver sans avoir à vivre à la lueur d’une bougie. Pas besoin cette fois de clôturer la fenêtre pour me protéger du froid.

Un regard au dessus de mon épaule, et je vis ce lit qui s’offrait à moi. Petit lit douillet recouvert d’une parure de draps embaumant la fraicheur.



Une petite pièce épurée dans laquelle je me sentais bien. Pas de grandes moulures, ni d’ornements divers témoignant d’un quelconque signe de richesse. Juste une pièce entretenue parfaitement, confortable et simple.

19 pièces d’or la chambre, le peu d’argent qui me restait me permettrait de tenir quelques jours… Je devais rapidement me remettre à mes activités, réapprendre doucement à vivre, à combattre ce qui sous entendait de mettre fin à cet isolement, de me socialiser. Là j’avais de quoi faire… deux années d’isolement et je me sentais oppressée à l’idée de rejoindre les foules.

Je devais y travailler, et ce travail commencerait dès ce soir. La faim me rappela bien vite que j’avais tout intérêt à rejoindre Kleber et mon hôte. Je supposais que Kleber avait déjà entamé les vivres et que si je souhaitais me mettre quelque chose sous la dent, je devais faire vite.

Dernier regard avant de quitter ma chambre et soupire lâché sans retenu… il était bon de revenir à la vie.