Frrrrrrrrrh.Je trouvais ce son apaisant. On aurait dit l’écho d’une berceuse, revenu des temps heureux.
Seul le vent et les feuilles de cristal accompagnaient le chant de la lame.
Frrrrrrrrrh.La lame. Elle remontait lentement le long du bras de cet homme, le caressait, le sillonnait. Je ne la maîtrisais pas ; elle ne voulait pas s’arrêter.
Tout s’accélérait. J’aurais pourtant tant voulu en profiter davantage. Il faut ralentir… stop !
Scrrrr.Une erreur. Une fausse note. Un rubis sur sa peau blanche. La lame ne bougeait plus.
L’homme grimaçait mais ses paupières restaient closes.
Chuuut… Tout va bien. Rendors-toi. Lui soufflais-je alors à l’oreille.
Le visage de l’homme se détendit alors que le joyau roulait.
Ce moment était parfait ; celui que j’avais attendu si longtemps. Le péché allait être lavé, ma pureté serait rachetée.
Le rubis lâcha prise, sa chute s’achevant par le tintement silencieux d’une perce-neige. Mon cœur fit un bond. Je me penchais alors pour lui chuchoter à nouveau à l’oreille.
C’est le signal des Anges. S’il te plait, reste là, adossé au tronc, et ne te réveille pas. Je ne tiens pas du tout à les voir. Poursuis ton sommeil…Mes lèvres frôlèrent brièvement son front en un baiser de bonne nuit. La lame avait repris possession de moi.
Ma main se levait pour se positionner entre deux côtes. Si elle tremblait, le froid en était plus responsable que le manque de volonté.
Je ne devais pas perdre de temps, à présent. Prendre le risque d’attendre que le dormeur ne s’éveille eût été fou. Je devais le faire maintenant !
AAAAAAAAH !Oooooh ! Criais-je alors que j’étais repoussée en arrière, dans la neige.
Que c’est beau !Une fontaine de rubis avait pris source. Dansante, chantante, étincelante.
L’homme, se tordant de douleur, tentait vainement de se relever, inondant la forêt argentée de joyaux qui se déversaient sans cesse, glissant à terre, et que je regardais, amusée.
Pourquoi tu… ?! Tu es… Je te connais ?!Pourquoi avait-il dû faire cela ? Il venait de tout gâcher. C’était horrible. Ses yeux gris… plongeant dans les miens.
JE NE VEUX PAS LES VOIR ! JE T’AVAIS DIT QUE JE NE VOULAIS PAS LES VOIR ! FERME LES ! FERME LES YEUX ! RENDORS TOI !
La fureur m’emporta et me poussa en avant, sur l’homme.
Ma main était à nouveau incontrôlable. Le poignard plongea à nouveau dans la chair pour la fendre. Une troisième fois. Puis encore une.
Le souffle me manquait. Mon bras tomba alors mollement le long de mon corps. Plus rien ne bougeait.
Ma victime dont les merveilles étincelantes continuaient à s’échapper restait allongée sur le dos, les yeux fixés sur le ciel de coton, marmonnant.
C’est bien toi ? Tu es là ? Tu étais toujours là ? J’ai passé tellement de temps à te chercher. Quel gâchis…Une larme coulait au coin d’un de ses yeux.
Tu les entends ? Moi non plus. Les rires. Ils ne sont plus là… Mon frère.C’étaient là ses derniers mots.
Il était mort.
Je l’avais fait. La mission des Anges était accomplie. Mon ultime mission.
Il me restait cependant encore une chose à faire. Mes yeux s’étaient posés sur le vieux sac de toile à côté de la dépouille. Il était bien rebondi. De nombreux secrets y avaient certainement élu résidence. Je devais vérifier ce qu’il contenait. Je devais comprendre qui avait été cet homme. Etait-il aussi mauvais que ce qu'avaient décrit les Anges ?
M’accroupissant à côté du sac, j’y glissai mes mains pour découvrir quelques mystères.
D’abord, un bâton de bois. On aurait dit une branche de chêne. Ordinaire. Aucun intérêt.
Ensuite, des lettres. Beaucoup de lettres. Froissées, mélangées. Signées de la main d’Entrebrume, Galliad, Cypres, Tazouille… des noms qui m’étaient inconnus.
Certaines étaient en meilleur état, reliées entre elles en un petit paquet par un cordon. Grumpy… encore un auteur mystérieux.
Voilà qui promettait d’être intéressant ! Un petit coffret de bois et de métal. Le parfait endroit pour y mettre quelque chose de précieux.
Je tentais de l’ouvrir, mais mes efforts ne servaient à rien. La rouille et l’humidité l’avaient rendu inviolable. Peut-être qu’en le secouant, j’aurais un indice sur son contenu ?
Encore une vaine action. Je n’entendais rien à l’intérieur. Le coffret était vide. Pourquoi avait-il gardé un coffret vide ?!
La fouille était très décevante. Si ce n’est…
Ah ! Voilà qui me plait ! Je peux le garder ? Après ce que tu as fait, ce n’est qu’une modeste compensation...Je m’emparai alors d’une broche d’argent en tête de loup ornée d’un saphir et gravée aux initiales D .W., la glissant dans ma poche.
J’en avais fini de mon inspection. Il ne me restait plus qu’à mettre un peu d’ordre.
Quand bien même cet homme était destiné aux Enfers, son corps ne pouvait demeurer ici. Je savais quoi faire. Le lac était si beau en cette saison…
Saisissant le cadavre par les aisselles, je le traînai au sol, marchant à reculons en direction du lac.
Il était lourd ; je progressais lentement. J’arrivais pourtant maintenant sur la glace. Des constellations se dessinaient sous mes pieds alors que je continuais d’avancer.
Ici… la glace est plus fine…
Quelques coups de talon au sol eurent raison du miroir terne sur lequel je me trouvais. Un large trou s’était ouvert.
Me penchant sur l’homme que je venais de lâcher, j’entrepris de le faire glisser sur la glace, jusqu’au bord du trou, jusque dans l’eau…
Ce fût sans bruit qu'elle le recouvrit d’une fine couche.
Je regardais le visage du mort, flottant sous la surface de l’eau, tel mon reflet.
La glace reprenait très vite sa place, le recouvrant, et tout se que l’on pouvait voir à présent de lui n’était qu’une silhouette sombre.
Bonne nuit…Je tournai les talons pour marcher vers la rive.
… papa.