In Terra Incognita
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 Fata Morgana

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Sindh

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Age du personnage : 21

Fata Morgana Vide
MessageSujet: Fata Morgana   Fata Morgana EmptySam 4 Déc - 19:08

Mois de Cinembre, Année de l'éclipse

Ses doigts engourdis convulsivement serraient la hampe rugueuse de sa lance.
Il avait peur, mais pour rien au monde il ne l’aurait montré.
Autour, accroupis comme lui dans les hautes herbes, tous attendaient, leurs visages inexpressifs et les yeux comme des braises derrière les mèches grasse de leur chevelure emmêlée.
Dans quelques secondes, le bourdonnement sourd de l’incantation du sorcier stopperait.
Dans quelques secondes, ils s’élanceraient tous, nus et hurlants, la peau couverte d’argile craquelée, sous le regard bienveillant et affamés des dieux.

Et les envahisseurs seraient anéantis. Leurs cadavres désarticulés, scarabées de métal, joncheraient la plaine ocre.
Et eux, valeureux guerriers de la tribu des Saan remonteraient les hauts plateaux caillouteux, la peau lavée par le sang ennemi, les muscles las et la tête vide mais le coeur soulagé, retrouver femmes et enfants.

Il remua ses épaules, pour chasser la tension, pour décontracter ses muscles noués par l'appréhension. La glaise séchée apportait une fraicheur bienvenue sur sa peau brûlante.
Il avait reçu son ultime tatouage la veille, sésame pour son entrée dans la caste des combattants.

La litanie du chaman se termina dans un dernier souffle rauque.
Il se redressa, un brasier dans la poitrine, un étau épineux enserrant ses tempes et s’élança, sous les rayons indifférents d’un soleil nouveau né, libérant dans sa course un hurlement d’excitation et de terreur.
C’était sa première bataille.
Il avait 14 étés et 13 hivers.


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Sa lourde côte de maille le démangeait. Il s’appuya sur sa jambe valide, calant son arbalète sur le lourd bouclier rectangulaire planté dans le sol.
Il entendait derrière lui le crépitement électrique de la foudre magique couvrant le marmonnement agacé des sorciers.
Il attendait. Ce ne serait pas long.
La veille, leur capitaine, noble emperruqué et parfumé, était passé dans leur campement. Sans prendre la peine de mettre pied à terre, il leur avait annoncé que l’offensive aurait lieu à l’aube.
Il avait fini son écuelle puis s’était dirigé vers sa position. Il avait dormi du sommeil lourd et sans rêve des vétérans, adossé contre son bouclier d'acier.
Il n’éprouvait ni peur, ni impatience. C’était juste une bataille de plus.
Une meute de primitifs avaient la malchance de vivre dans ces mesas rocheuses, battues par les vents du désert, oubliées des dieux.
Mais au sous sol débordant de minerai.
Et le royaume avait besoin de minerai.
Ils nettoieraient la zone pour la compagnie royale minière avant de repartir, ailleurs, pour une autre campagne. La dernière, espérait-il, avant de s’acheter une ferme avec sa solde. S’il ne la perdait pas aux dés.

Ils surgirent brusquement des herbes sèches.
Il les vit dévaler la pente en hurlant, semblant flotter, poignées de spectres blancs, armés de leurs lances de silex.
Un bref instant, il les admira. Admira leur nudité guerrière et leur foi téméraire. Admira leur combat désespéré à l’issue certaine.
Dans son dos, les destriers de la cavalerie piaffaient, impatients de s’élancer.

Tandis que les premiers éclairs magiques fusaient au dessus de sa tête, il se campa solidement sur le sol de graviers et visa la première ligne de barbares vociférants.
Ce serait une boucherie mais au moins ce serait rapide.
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Sindh

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Fata Morgana Vide
MessageSujet: Re: Fata Morgana   Fata Morgana EmptySam 4 Déc - 19:09

Le coeur en expansion, le sang rugissant une cantate océane dans ses oreilles, un gout de bile ferreuse collée au palais, il courrait avec la soif inextinguible de frapper, d'enfoncer la pointe de sa lance dans des abdomens gras et pâles. Envie de tuer, juste pour évacuer sa frayeur.
Il courrait vers le choc des armes et des corps, vers le moment où les grognements s'entremêlent et les sangs se mélangent. Impatient d'un duel à figure humaine, de deux volontés meurtrières qui chercheraient à s'anéantir pour se sentir vivre.
Ainsi combattaient les Saan. Pour l'honneur et les trophées.

Il trébucha lorsque le guerrier à ses côtés s'enflamma, tandis que son cri de guerre se transformait en grésillement graisseux.
Mais il ne ralentit pas. Parce qu'il ne comprenait pas, parce qu'il ne pouvait pas mourir ainsi, sans avoir combattu.
Alors il continua, sous une pluie de carreaux d'arbalètes s'enfonçant avec des chocs sourds dans les chairs offertes. Il courut vers l'armée ennemie sans tenir compte du ciel électrique d'où pleuvait la mort, les yeux rivés sur la première ligne de fantassins aux faces de statues d'airain.

Il le vit soudain, ce destrier lourdement caparaçonné, l'image même d'une bête des enfers avec ses naseaux dilatés d'où s'échappaient des volutes de vapeur, les yeux fous roulant dans des orbites cerclés de pointes de métal et les sabots d'obsidienne. Il le vit renversant alliés et ennemis, sa robe sombre hérissée de pointes métalliques, comme s'il l'avait choisi, comme s'il le désirait.
Il comprit que ce serait lui, l'instrument de son destin.
Alors il bondit vers cette licorne d'acier, sa lance prête à s'abattre, visant le cavalier en armure sur sa monstrueuse monture.
Le temps parut se figer, l'engluer dans une seconde d'éternité tandis qu'il flottait dans l'air brumeux.
Sa lance s'enfonça dans la gorge du cavalier au moment même où la bête, d'un geste longuement répété, relevait brutalement sa tête massive et l'embrochait sur la hampe courbe de métal acéré accrochée sur son front.
Il tomba, pantin disloqué au flanc déchiqueté, tomba dans l'herbe rouge, tandis que la bête continuait de tracer son sanglant chemin, un cadavre tressautant collé à son encolure.
Sur le dos, les membres agités de mouvements spasmodiques et s'étouffant dans son sang, il contempla les éclairs qui striaient le ciel sombre.
Si sombre.
Il ferma les yeux.


Plus tard, ils arrivèrent, chassant les corbeaux aux ailes poussiéreuses.
Suivant l'armée comme un chancre, ils déambulaient sur le champs de bataille maintenant silencieux.
Les soldats étaient déjà partis, pour d'autres batailles, pour d'autres tueries.
Eux, dans leur sillage, les talonnant de leur allure lente et monotone, flânaient, glanaient.
Marchands d'esclaves, détrousseurs de cadavres, maquerelles surveillant leurs oiselles cachées derrière la bâche des charriots, maraudeurs et malandrins, gibets de potence et égorgeurs.
Avec application, ils tranchaient les gorges râlantes des agonisants, arrachaient bagues et colliers sur les cadavres tièdes, récupéraient les plastrons tailladés et les casques bosselés.

Lorsque l'un d'entre eux trouvaient un corps encore vivant, pas trop abîmé, il se redressait et, enfonçant des doigts noirs dans une bouche parsemée de chicots, lançait un long sifflement aigu.
On voyait alors accourir un marchand, à la longues tunique chatoyante, suivi de ses gardes au regard mort.
Une bourse changeait de mains et le rescapé était soulevé, jeté sur une épaule indifférente avant d'être rapidement enchainé à l'arrière d'un charriot.

Il fut l'un d'eux.
Un de ces survivants crachant des caillots de sang et trébuchant dans la poussière des roues, le cou cerclé de métal et les poignets ceints de mauvais chanvre.
Ancien guerrier, nouvel esclave.
Il aurait préféré être mort.
Il aurait mieux valu.
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Sindh

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MessageSujet: Re: Fata Morgana   Fata Morgana EmptySam 4 Déc - 19:11

Robnir Isn Al'Festra'ia avait d'innombrables défauts mais c'était un excellent marchand. Il voyait à long terme et savait jauger la marchandise avec une clairvoyance qui relevait du génie.
D'ailleurs, lorsqu'il lâchait prise, lorsqu'il se rhabillait, à l'aube, les neurones brûlés de fumée, en sortant du lit crasseux d'une putain famélique qui ne l'écoutait pas, et devenait, pour une minute ou deux, presque volubile, il se définissait comme un révélateur de talents.
Ce n'était pourtant qu'un investisseur doué.

Un autre que lui, en contemplant l'adolescent sauvage aux yeux hagards, à la poitrine osseuse et aux membres grêles, n'aurait pas parié un cuivre sur sa survie et se serait empressé de le vendre comme giton au premier bordel ambulant venu, ou à la première latifundia croisée sur la route où il aurait défriché un ou deux empans de jungle avant de mourir de fièvre hémorragique.

Mais Al'Festra'ia prit le temps, le premier soir, d'examiner l'esclave prostré, de tâter d'une main experte la solidité des os et des dents, l'élasticité des ligaments, la fermeté des muscles. Il devina le potentiel du gamin tatoué au flanc mal recousu d'où suppurait un pus jaunâtre et calcula rapidement combien, au final, il pouvait lui rapporter une fois correctement apprêté.
Alors il paya le barbier du convoi pour qu'il le recousît correctement, versa quelques piécettes à une vieille maquerelle apothicaire en échange de quelques herbes fébrifuges et doubla la ration de soupe claire versée dans un bol d'écorce.
Il pensa même à lui demander son nom, d'une voix sèche et autoritaire. Non pas que cela l'intéressait mais c'était un bon moyen de tester l'obéissance de la marchandise.
Le jeune barbare, hébété, ne répondit pas. Peut être n'avait-il pas compris, mais cela n'avait pas d'importance. Il fut fouetté. Légèrement, il ne s'agissait pas de trop l'abimer.
Il finit par répondre, mi hurlant, mi hoquetant.

Un sourire sinistre éclaira la face barbue du marchand.
Bien... C'est bien.... Sindh... Tu apprends vite.... Tant mieux.... Parce que toi et moi, on va passer un sacré bout de temps ensemble mon gars...
Il le quitta avec un rire sans joie croassé d'une voix éraillée.

Al' Festra'ia avait la patience d'une pierre. Déjà riche, il ne cherchait jamais le profit immédiat.
Il prépara l'adolescent pendant quatre ans.
Les trois premières années, il s'engagea à développer uniquement les potentialités physiques entraperçues ce premier soir, dans la lueur rouge des flammes, alors que flottait encore dans l'air l'odeur putride de la bataille.
Et pour développer un corps, rien ne surpassait la mine.

Finalement, le jeune sauvage du nom de Sindh finit par retrouver son foyer. Du moins ce qu'il en restait.
Lorsqu'il arriva là où auparavant viviat sa tribu, l'air semblait âcre et huileux, empuanti par la fumée noire des brasiers où se consumait faiblement quelques ossements. Les murs des habitations troglodytes étaient maculés de rouille, le rare mobilier, frustre et sommaire, avait été réduit en pièce. Il aperçut autour des cous épais de mercenaires à la trogne d'ivrogne, les colliers et bracelets des ancêtres.
Les dieux auraient du châtier leur blasphème mais les dieux avaient disparus en même temps que son clan.

On lui colla une pioche dans les mains et au le poussa dans un tunnel, un de ceux qu'il avait, enfant, parcouru d'innombrables fois.
Il dut creuser. Il dut charrier, étayer, transporter, ramper, ramasser. Dans la poussière et l'obscurité.

Trois ans sans penser, trois ans à tenter de faire abstraction des aboiements des matons, des coups de fouets, des articulations douloureuses.
Trois ans à prendre en taille, en muscles, en force sous le regard appréciateur d'Isn Al'Festra'ia.
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Sindh

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MessageSujet: Re: Fata Morgana   Fata Morgana EmptyDim 5 Déc - 18:33

Douze saisons à vivre comme une bête.
Douze saisons rythmées par le changement des bracelets de mauvais fer au fur et à mesure de sa croissance.
Douze saisons où seules les fonctions les plus animales, les plus instinctives, demeurèrent : se nourrir, boire, excréter, échapper à la douleur, montrer les dents pour défendre sa pitance, se battre pour se protéger.
Douze saisons où son esprit s'engourdit, se flétrit, devenant nabot d'âme, avorton d'intellect.

Seul le chant demeura.

Lumignon éclairant le passé lorsqu'il fredonnait, comprimé dans un boyau glaiseux, les berceuses et les chants de sa défunte tribu. Luciole d'empathie lorsqu'il chantonnait, plongé dans le torrent glacial pour laver le minerai, les mélodies entendues de la bouche d'autres esclaves.
Mélopées sans paroles, litanies animales qui le raccrochaient à l'humanité.

Puis vint le fameux soir.
La journée avait été particulièrement rude. Son groupe avait été envoyé couper quelques arbres pour fabriquer des étais. Le trajet avait été difficile, dans la rocaille et sous le soleil ardent, la démarche rendu malaisée par les chaines, la sueur se mélangeant au sang et rendant les entailles du fouet douloureuses.

A la tombée de la nuit, il engloutissait le contenu filandreux de son écuelle, accroupi contre le mur, son pagne déchiré dissimulant à peine ses génitoires, les épaules douloureuses et les mains ensanglantées lorsqu'une ombre tomba sur lui.
Il grogna, un son rauque et âpre, pour décourager l'importun.
Mais celui-ci ne bougea pas. Pire, même, il lui adressa la parole.

Yzzdr'ha'ai. Herk Herk-Saan. Saan-bi. Malaq'olh. Kh! Kh! Yzzdri nekh laa nom...Saan.. Haï Haï!

Les mots lui firent l'effet d'un coup. Un coup puissant qui arrêta son coeur et obscurcit sa vision.

Sa langue. La langue chantante et gutturale des Saan.

Il releva la tête, observa à travers ses mèches sales l'individu qui lui parlait.
Il repéra aussitôt les tatouages, repérant la caste et la tribu de l'homme. Puis il détailla d'un regard scrutateur la barbe grise, les traits rudes, la tresse malingre et le regard éteint de l'esclave qui, comme lui, fut un jour un guerrier craint et respecté de cette région.

Il grogna, amicalement cette fois-ci et osa récupérer les mots qu'il avait abandonné trois ans auparavant.
Saan saan bi. Irchhh- ni laa. Sindh reck Yrsykss. Nolek dibi ?

L'homme s'accroupit à son tour et jeta un regard envieux sur les légumes jaunâtres flottant dans la gamelle de Sindh. Ce dernier lui tendit. Le saan la saisit d'un geste vif, enfournant les morceaux dans sa bouche en maculant sa barbe de débris gluants.
C'est à ce moment, pendant qu'il mangeait, que le jeune esclave aperçut le fouet qui pendait à sa ceinture de corde.

Le barbu suivit son regard, posa sa main sur le fouet et sourit. Il lui dit :
Tu as vu ? Ca te fait envie, n'est-ce pas ? Tu sais, Sindh-Guerrier-Saan, il faut garder espoir. Moi aussi, au début, comme toi, j'étais juste un esclave. Juste bon à casser les cailloux. Juste bon à recevoir les coups. Mais j'ai bien travaillé, esclave-saan-Sindh... Les maîtres ont été contents. Jamais je n'ai tenté de m'enfuir, jamais je n'ai attaqué un garde pour tenter de lui arracher les yeux... Oui, oui, Saan-enfant-Sindh, je connais ton histoire. Mais tu es un Saan, comme moi et je veux t'aider. Obéis à ton maître. Sois respectueux... Travaille bien... Et quand le maître aura confiance, Sindh-fou-innocent-saan disparu, tu deviendras peut être gardien comme moi. Et tu seras fier, oui, fier, Sindh têtu-jeune, de bien servir le maître. Et ta vie sera meilleure.

Aurait-il eu les mots, aurait-il eu les idées, qu'il n'aurait peut être pas réagi ainsi. Mais il vivait depuis trop longtemps comme un animal. Il ne chercha pas à comprendre cette servilité, il ne devina pas l'âme brisée sous ce discours traitre.

Loup emprisonné, ligoté, il ne vit en face de lui qu'un loup devenu chien, un loup heureux de mordre ses semblables pour avoir une tape sur la tête et un demi ose à ronger.
La rage le saisit, une rage au goût acide de terreur car il sentait confusément que ce qu'il avait en face de lui, c'était son avenir. Devant lui se tenait la mort des Saan, Erzae, la déesse de la pourriture et de la corruption dissimulée dans le corps d'un barbare vieillissant.
Il hurla et se jeta sur l'homme.

Il fallut cinq gardiens pour lui faire desserrer la chaine qui sciait le cou de leur confrère.
Si Isn Al'Festra'ia ne s'était pas précipité, il l'auraient simplement anéanti à coups de masse. Mais le marchand leur ordonna de le garder en vie.
Ils l'assommèrent donc, l'écartèrent du pied pour dégager le corps flasque et sans vie de l'ancien Saan.
Le marchand se frotta les mains : il était prêt.

Il passa deux jours au pilori.
Le troisième jour, on le détacha et il livra son premier combat.

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Sindh

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MessageSujet: Re: Fata Morgana   Fata Morgana EmptyDim 12 Déc - 12:27

Mois de Esterande. Année de la Sécheresse.

La fumée huileuse des torches se tortillait avec des mouvements rageurs et lascifs sous les caresses du vent glacial en provenance des hauteurs. Elle empuantissait l'air froid de la nuit, s'infiltrait insidieusement dans les bronches, imprégnait les cheveux et les étoffes grossières des vêtements.

Sindh leva les yeux, brièvement, espérant voir quelques étoiles dans le velours de la nuit, cherchant la clarté laiteuse et amicale de la lune mais la fumée, comme une dalle funéraire, rapetissait le ciel, interdisant la liberté du regard.
Il abaissa les yeux, considérant la foule en cercle autour de lui, les bouches avides et bavantes, les peaux grêlées, abimées, balafrées, les regards brûlants, les doigts crochus qui se tendaient vers lui en un geste possessif et voleur.
Ils hurlaient, éructaient, riaient, d'un rire gras et collant, réclamant leur dose de sang et de douleur.
Il attendit, corps tendu, presque à rompre, la pioche dans les mains, attendit que le cercle s'ouvrit pour découvrir quel serait son adversaire.

Lorsqu'il avait été détaché du pilori, alors qu'il s'écroulait dans la poussière, les muscles complètement ankylosé, Isn Al'Festra'i s'était penché vers lui et lui avait annoncé son nouveau statut. Il n'était plus ouvrier esclave. Il était devenu gladiateur esclave. Il serait mieux nourri, aurait plus de repos et pourrait mourir avec encore plus de facilité qu'avant.
Toute la journée, il avait dormi, trop épuisé pour être effrayé ou désespéré. Il avait plongé dans le sommeil en se disant, qu'au fond, il préferait mourir sous les coups d'une lame qu'enseveli dans un boyau rocheux.

A la nuit tombée, les gardes l'avaient détaché, lui avaient mis une pioche entre les mains et l'avaient poussé dans la zone éclairée en lui assurant qu'ils avaient parié sur lui, ce qui, à leurs yeux, était un encouragement.

Et maintenant, alors que la froid hivernal séchait sa transpiration, rougissait sa peau frissonnante et donnait de l'éclat à ses tatouages de guerrier, il entendit le brouhaha de la foule se teinter d'excitation, de fébrilité presque sexuelle. La foule s'écarta et son adversaire apparut.
C'était un ex mercenaire venu d'une contrée septentrionale, embauché par l'armée du prince empereur pour nettoyer la zone désertique et qui à la suite d'une rixe où il s'était disputé une putain avec un officier, avait été jugé, condamné et vendu comme esclave. Il adressa un sourire cruel à Sindh, dévoilant ses dents limées en pointes et balança son marteau pour faire hurler les spectateurs.

La vue de ce guerrier aux yeux pâles, aux tresses teintes qui le contemplait avec un air affamé et haineux électrisa le Saan. Il était guerrier, sa peau peinte en attestait, il avait été choisi par les dieux pour combattre, pour vivre une vie brève et intense dans la fureur et les giclées de sang. Les trois années qui venaient de s'écouler avait été une parenthèse corrompue et honteuse dans sa vie de combattant mais ce soir là, il pouvait enfin mourir dans la dignité.

Yqzin al nerudin ak samarq finh dromsa.. vhij-nist. - La vie n'est qu'un rêve et il faut bien finir par s'éveiller - murmura-t-il avant de s'élancer vers son adversaire.

L'ex mercenaire avait assisté à de nombreux combats de ce type. Il savait ce que la foule voulait : de la cruauté, du suspens, de la souffrance. La foule, cette chienne brûlante, voulait du jeu, du sadisme et de la douleur. Elle voulait oublier sa vie en se délectant de la mort. Elle était toujours rassurée de voir qu'il y avait pire vie que la sienne. Elle se sentait plus forte, ça lui permettait de tenir un jour de plus. Alors elle pariait, rêvant richesse grâce à la mort d'un pauvre diable. Alors elle encourageait, insultait, blasphémait, détestait et enviait ceux qu'elle voulait voir souffrir.
L'ex mercenaire sentait tout ça. Il savait qu'un gladiateur qui avait la faveur du public était mieux traité par son propriétaire. Il décida donc de jouer, de satisfaire la bête, pensant, à tort, que le jeune guerrier en face de lui serait dans le même état d'esprit.

Mais Sindh ne voyait aucun honneur à faire durer un combat, à jouer avec l'adversaire, à satisfaire les pires instincts d'un public voyeur et excité. Il se jeta sur son adversaire sans chercher à l'éviter, sans feinter et lui arracha la gorge d'un grand mouvement circulaire de sa pioche tenue à deux mains.
La foule hurla, tandis que le guerrier blond s'écroulait avec un air surpris dans une grande éclaboussure pourpre, hurla de surprise, de frustration et de joie, satisfaite des jets de sang mais privée d'un combat qu'elle espérait long et raffiné.
Elle gronda, excitée par l'odeur âcre et métallique du sang. Elle gronda et oscilla, cherchant un bouc émissaire à sa déception.

Robnir Isn Al'Festra'ia était bien trop malin pour ne pas percevoir les envies d'une foule déchainée. Pour éviter tout lynchage, il se dépêcha d'envoyer dans le cercle un de ses meilleurs gardes. Il doutait fort que l'esclave puisse survivre face à tel advsersaire mais il préférait perdre un esclave, même prometteur que de se retrouver au milieu d'un public frustré et dépossédé de sa dose de sang.

De nouveau le cercle s'ouvrit dans une clameur rassurée et concupiscente.
Le garde qui s'avança vers Sindh avait pour consigne de faire durer le combat. D'un mouvement souple, il se lança en avant, traçant une estafilade rouge sur le torse du gladiateur.
Plusieurs fois Sindh s'élança, pioche dressée. A chaque fois, le garde s'écartait d'un mouvement fluide et marquait d'un trait pourpre la peau de l'esclave, provoquant les gloussements ravis du public.

Sindh s'affaiblissait. Le sang rendait le manche de la pioche glissant. Il ne comprenait pas pourquoi l'autre ne voulait pas le tuer, pourquoi il lui refusait l'honneur de mourir en guerrier. Il sentit la colère, la rage enfler en lui, obscurcir sa vision, comprimer sa poitrine, rendre brûlantes chacune de ses blessures.

L'autre se moquait, lui refusait sa dignité de guerrier. Il lâcha sa pioche, outil d'esclave, indigne d'un guerrier et se jeta, mains nues, sur le garde.
Celui-ci, avec un sourire, s'apprêtait à esquiver lorsqu'à sa grande stupéfaction il vit l'esclave saisir d'une main la lame courbe de son cimeterre, indifférent au bouillonnement sanguin jaillissant de la coupure tandis que de l'autre il lui attrapait le poignet. Il se débattit, donna des coups de pieds pour, d'une balayette, faire choir l'esclave enragé mais celui-ci le tira brusquement vers lui.
Déséquilibré,le garde trébucha, se rattrapa, sentit soudain sa main se libérer, se redressa pour pourfendre, taillader, écarter de lui cette masse de muscles et de nerfs en furie.
Avec un hoquet d'horreur, il sentit soudain des mains poisseuses appuyer contre son cou.

Il n'entendit pas le craquement que fit sa nuque lorsqu'elle se brisa.
Il n'entendit pas les hurlements orgasmiques de la foule.
Il n'entendit pas le sanglot soulagé du jeune gladiateur qui lâchait son corps sur le sable détrempé.

Il n'entendait plus rien.
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